Le parent

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La salle blanche se transforma en une épaisse brume. Le remugle de la pièce s'évapora. La voix mielleuse de la sage-femme ne parvenait plus à mes oreilles, elle n'était que des paroles étouffées.

Je ne ressentais plus les contractions qui m'étranglaient le ventre.Et pourtant, j'étais bien agrippée aux draps, les mains moites,cramponnée d'une lointaine douleur. Trois heures que je poussais,relâchais, puis repoussais. Trois heures que je répetait cette même interminable danse. J'avais l'impression que tous les infimes muscles de mon corps allaient me lâcher, me laissant démunie de toute force.

Le petit, toujours cramponné à la chaleur que lui procurait ma chair,n'était pas décidé à sortir. Il fallait qu'il sorte !J'avais perdu tant de choses à cause de cette bête.

André avait dû tout avouer de ma grossesse à Mère, me mettant à dos le peu de personnes qui m'avait encaissé durant mon enfance. J'étais,désormais, fille de personne, une souillonne qui n'avait aucune famille. Mais la chose la plus précieuse que j'avais perdu était le cœur d'un homme, d'un tendre homme : Boris. Même si depuis,mon frère m'avait confessée que Boris avait tué Grand-Père, je vouais au Dragon une rancune amère couplé d'un lointain amour d'une nuit.

Un cri me fit revenir à la réalité. Je vis à nouveau la pièce lugubre, humant la senteur irritante de désinfectant, et entendais les pleurs d'un nourrisson. Je me sentais comme libérée d'un poids,devenant plus légère qu'une aiguille de pins.

La sage-femme, suintante, me tint une petite boule de chair frêle. Deux petites fentes d'acier s'ouvrirent avec curiosité. Il avait arrêté de pleurer, mais il continuait de s'agiter faiblement.

- Faîtes bien attention à vot' p'tit, ajouta la femme, gardez-le bien à l'abri du froid, c'est qu'il a l'air chétif... Sans paraître indiscrète, comment allez-vous l'appeler ce p'tit garçon ?

Moi qui avais imaginé un robuste enfant, me voilà bien penaude !Ce gamin était bien trop fragile pour que je puisse le garder. Et puis, comment aurais-je pu m'en occuper ? Il n'aurait survécu ni aux complots de la Cour, ni à l'hostile demeure de Mère. En cet instant, j'aurai ardemment voulu le jeter en pâture aux loups de la toundra.

Et puis, je ne pouvais pas le laisser ici. Les nurses ne m'auraient jamais laissé partir sans le petit, j'allais devoir le prendre jusqu'à trouver une solution moins sanglante. D'ailleurs, j'avais peut-être déjà une idée en tête.

Quant au prénom de ce môme, c'était le cadet de mes soucis. Il s'appellera Thorn, comme l'ignoble gnome d'un conte pour enfantqui m'avait hanté d'horribles cauchemars. Je me souvenais parfaitement de l'abominable histoire de ce récit qu'on ne peut trouver qu'au Pôle. Je me remémorais le feuillet de feuilles jaunies par le temps, de la fillette qui allait cueillir des mûres arctiques, et qui à la fin se faisait dévorer par le farfadet -qui essayait de la dissuader de ramasser ses fruits-.

- Thorn... ce sera ...son nom, répondis-je essouflée.

Thorn ? Comme l'affreux méchant de ce livre pour enfants ? Quel drôle d'idée d'appeler son enfant comme lui !

Je détournai le regard de la femme instananément. Il fallait vraiment que j'apprenne à contrôler mon pouvoir. Ça allait me jouer des tours plus tard !

Je posai ensuite mon attention sur mon bâtard. Il avait de longs cils blonds, une peau modelée toute fripée, des petits poils blonds lui poussaient sur le crâne, et il tremblait de froid. Même si j'étais déçue d'avoir donné naissance à un poupon souffrant, je ne pouvais m'empêcher de ressentir un infime pincement au fond de mon cœur.

_° _

Les jours suivants furent tout aussi ennuyeux les uns que les autres. Je devais rester allongée sur mon lit, à contempler mon gamin et à le nourrir. Mes seules visites étaient celles des infermières qui venaient prendre des nouvelles du petit malingre.

𝕸é𝖒𝖔𝖎𝖗𝖊𝖘 𝕯'𝖚𝖓𝖊 𝕮𝖍𝖗𝖔𝖓𝖎𝖖𝖚𝖊𝖚𝖘𝖊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant