Chapitre 6 : Repas de famille, quelle famille ?

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La balançoire grinçait à chacun de mes mouvements. Au contraire de me gêner, ce son m'apaisait, car il déviait mes pensées de mes préoccupations.

Je n'avais jamais apprécié les repas de famille, organisés tous les quinze jours, mais la balançoire était un atout dans la demeure d'Hyo-Jin, ma tante. Je me perdais grâce à celle-là, et cela faisait du bien. J'avais passé les deux derniers jours à ruminer, repassant en boucle ce court événement. Ici, il était loin de moi.

Derrière moi, il y avait une haie de buisson, qui cachait le jardin de la vue des autres. Devant moi, un immense terrain. Mes cousins et cousines l'utilisaient avec brio : tout en conversant ensemble, ils s'amusaient à s'affronter. Leurs attaques n'étaient pas feintes, ni leurs blessures. Ils se testaient et en étaient satisfaits. Seule Ga-Eul, qui avait seulement cinq ans, restait à l'écart. Elle préférait les admirer. Viendrait un jour où, elle aussi, emploierait ses dons de cette façon.

Je secouai la tête et me reconcentrai sur le grincement. Je fermai les yeux et accentuai mes mouvements. Le vent vint me caresser le visage, je souris. Je devais me vider la tête.

—Mi-Ra, Mi-Ra ! Regarde !

Ga-Eul tira soudain sur le bas de ma robe noire afin de capter mon attention. Elle était l'une des rares à m'approcher, les autres m'ignorant simplement. Je n'étais pas digne de leurs dons. Ga-Eul, elle, ne m'avait jamais écartée de son monde, bien que ses parents et son grand-frère, Dongho, la réprimandaient constamment à ce sujet.

Je stoppai les va-et-vient et baissai le regard vers ma cousine.

—Maman m'a dit que j'étais exceptionnelle en voyant ça ! s'extasia-t-elle en me désignant sa main.

En son creux, une petite fleur rose se trouvait. Les pouvoirs de Ga-Eul s'étaient manifestés très tôt, aux alentours de ses deux ans, ce qui avait ravi la famille. Ma cousine promettait un avenir glorieux à notre nom. C'était là tout ce qui parlait à ma famille.

—Je suis très très très contente ! Toi aussi tu es contente pour moi ? me sourit-elle de toutes ses dents.

Un instant, j'oubliai être la paria de la famille. Je me revis avec Suni, rire aux éclats, m'extasier face à ses dons.

—Je suis très très très contente pour toi, Ga-Eul. Tu es déjà douée ! Tu sais faire autre chose ?

—Oui, pleins d'autres ! Maman me félicite quand je fais quelque chose de nouveau alors... expliqua-t-elle innocemment.

Son regard bleu pétillait de fierté et ses cheveux noirs s'agitaient. Combien de temps garderait-elle l'innocence des enfants dans cet environnement où le pouvoir régissait la vie ?

—Tu peux me montrer ? Je veux vraiment voir ça !

La petite-fille s'empressa de faire pousser de l'herbe autour de nous, dans un petit périmètre. Pour cinq ans, c'était exceptionnel. Elle fit pousser une petite fleur au creux de ma main, qu'elle m'offrit puis, me surprenant, elle fit grandir un arbuste. Sans contexte, elle allait devenir une magicienne hors pair. Et puis son dernier tour me donna envie de pleurer. Sous mes yeux, elle fit naitre un sapin d'hiver qui, comme son nom l'indique, ne pousse qu'en hiver. Ses branches couleur de la neige étaient fièrement déployées ; sa pointe aiguisée.

La fillette leva les yeux vers moi et sourit.

—C'est pour Suni. Elle sera contente de voir qu'on a pensé à elle quand elle reviendra. Parce qu'elle reviendra, hein, Mi-Ra ? Suni ne nous a pas abandonnés, j'ai raison, hein ?

Je revins à la réalité : mes tantes et oncles ne voulaient pas de moi. Ma sœur était une traîtresse. Mon cœur se serra devant son innocence. Moi aussi, j'avais été trop crédule. Pourtant, une part de moi avait toujours du mal à y croire.

Derrière les masquesWhere stories live. Discover now