Chapitre 10

4.7K 170 28
                                    

SEPTEMBRE 2018



Il reste silencieux un petit moment. Je pense qu'à cet instant il cherche une vraie réponse à me donner. Parce que je sais mieux que personne que les choses qu'on croit innées, comme la colère envers quelqu'un ou quelque chose, on dit souvent « c'est comme ça, c'est tout » alors qu'en vrai, il y a forcément une bonne raison à ça.

- J'avais une copine, ça fait pas si longtemps qu'on est plus ensemble d'ailleurs. Ça s'est pas si mal fini, bon y a eu des larmes et des cris mais c'est classique. Mais si tu voyais la meuf que c'est devenue, une vraie grosse pute. Et j'dis pas ça dans l'vent. Donc, à moi, elle m'a rien fait. Mais ça prouve bien qu'il y avait une part de vice en elle, et j'l'ai vu chez beaucoup d'autres femmes. Vous pouvez trop facilement nous berner. Nous faire du mal. Et franchement j'ai vécu assez de galères pour pas me rajouter ce genre de connerie, alors j'me suis blindé. Et j'vous emmerde toutes.

- Charmant.

Il hausse les épaules comme une fatalité. Après tout, je peux pas vraiment lui en vouloir, parce qu'il n'a pas totalement tord. Mais il oublie que les mecs sont pareils. Il est certes pas concerné par eux, mais faut pas oublier qu'en amitié c'est parfois plus douloureux qu'en amour.

- Mais bref, je comprends qu'il n'a plus envie de parler de lui, toi tes ex c'était comment ?

- Compliqué, je ricane.

- Vas-y, explique.

- T'es curieux, je dis en reprenant sa phrase.

- J'aime bien t'entendre parler, j'sais pas ta voix elle a un truc qui m'fait rire et kiffer.

Je sais pas comment je dois le prendre alors j'ignore sa remarque.

- Bah j'suis pas jalouse comme fille. Alors la plupart des mecs ça les fait kiffer au début mais à la fin il prenne ça comme un désintéressement. Genre, parce que je tape pas des crises je m'en fou d'eux.

Je me gratte le nez en rigolant quand je le vois captiver par ce que je raconte.

- J'te dis ça comme si j'avais un milliard d'ex, mais en vrai j'en ai deux. Avec le premier ça c'est fini parce qu'on était des gosses, on était en seconde. C'était mignon mais rien de palpitant. Et le deuxième, il me poussait pour que je fasse ces fameuse crises de jalousie, sauf que j'le savais donc je réagissait encore moins. Sauf qu'il est allé trop loin et a fini par galoche une autre fille. Donc je l'ai quitté.

Je grimace en étendant mes jambes, elles sont toutes engourdies et c'est terrible. Je les étale sur le corps de Mathieu, toujours allongé, alors que je suis assise, le dos contre le mur.

- J'sais pas comment tu fais... dit-il en posant sa main sur mes genoux. Moi j'suis assez jaloux.

- Bah je pars du principe que je fais ce que je veux, et trois de mes meilleurs potes sont des garçons de qui je suis super proches. J'aimerais pas que mon copain me les brise à chaque fois que je les vois. Donc je fais la même chose.

- Mais... admettons que ton gars il va en soirée ou y a quinze meufs archi fraîches qui sont là pour le chauffer. Tu vas rien dire ?

- Non. Je dis pas que ça me fait plaisir et que je suis sereine mais je ferme ma gueule. Après si le gars en question sait pas se tenir, c'est son problème et on a rien à faire ensemble. J'suis pas sa mère a le tenir par la main pour tout ce qu'il fait. Et je vois pas l'intérêt de lui dire « eh mec, j'suis la, t'as une copine, tu te souviens ? Alors fais pas le con. ». S'il est pas capable de s'en souvenir tout seul qu'il taille à gauche.

- T'es radicale.

- Je le laisse faire sa vie sans lui casser les couilles. Alors a la moindre erreur, j'le loupe pas. Je trouve ça normal.

Je replis mes jambes pour poser mon visage sur mes genoux. Je ferme les yeux et soupire. Bon, puisqu'on est dans les confidences, autant y être jusqu'à bout.

- Je suis pas facile à vivre, je le sais. Sortir avec moi, c'est sortir avec un bunkoeur. J'suis pas attentionnée, je prouve mon amour par des insultes. Vraiment, je sais que c'est drôle un moment mais ça devient vite dur pour la personne en face.

- Comment tu sais si t'as que deux ex ?

- Parce que c'est comme ça avec tout le monde. Pas qu'en amour. Toute relations confondue, amitié, familiale, peut importe. Et même pour moi, des fois c'est pas facile. J'ai perdu des gens a cause de ça.

Jamais. J'ai jamais ressentis ce que je ressens à ce moment précis. J'en ai presque envie de pleurer. Pourtant les constats que j'expose à Mathieu, c'est vraiment pas quelques chose de nouveau pour moi. Ça fait des années que j'ai réussis à mettre des mots sur ce problème sentimental que je me trimballe.

Alors je ne comprends pas pourquoi ce soir, ça me rend triste. Peut être que je me rends enfin compte que c'est pas en continuant comme ça que j'avancerais dans ma vie. Tout le monde évolue, mais moi je reste au même stade.

- J'ai été élevée dans la pudeur tu vois, je continue. Je n'ai pas le souvenir d'avoir un jour dit à mes parents « je t'aime ». Et j'ai pas le souvenir qu'eux me l'ait dit non plus. C'est pas parce qu'on s'aime pas, mais on se dit pas ce genre de chose. Et pareil, j'vois mes potes tout le temps, ils prennent leur parents dans leur bras, les bisous et tout ça, mais jamais tu verras ça chez moi. On s'fait la bise à l'occasion c'est tout. Et le pire c'est mon frère, on s'kiff mais jamais on se le dira et moins on se touche, mieux c'est. Je pense qu'à partir du moment où j'ai grandi comme ça, je peux pas être quelqu'un de différents avec les autres.

Je fais une pause en soufflant bruyamment. Je sens la main de Mathieu attraper une de mes chevilles et faire des cercles avec son pouce. Très sincèrement, tout ce que je lui dit j'en ai conscience mais je ne l'ai jamais raconté à personne. Et dire à voix haute que tu sais pas aimer, c'est plus dur que se le dire dans sa tête.

- J'ai essayé de changer, je termine. Juste après le lycée. Mais j'y arrive pas.

Je pleure rarement. Je crois que la dernière fois que j'ai pleuré de tristesse, j'avais douze ans. Aujourd'hui j'en ai vingt, et pas une seule fois dans mon existence j'ai pleuré de joie. J'suis pas malheureuse dans ma vie en général, mais j'suis pas super heureuse non plus.

J'suis la quoi, c'est tout.

Les larmes de colère par contre, c'est mon quotidien. Mais ce soir, les larmes qui commencent à couler sont simplement des larmes de fatalité. Puis je commence à me détester de me montrer faible devant quelqu'un. Surtout quelqu'un que je connais si peu.

Mais ce qui se passe ensuite et tout nouveau pour moi. Je laisse Mathieu tirer sur mon bras pour me coller contre son torse. Aucun sanglot, juste des perles salées qui coulent sur mes joues. Mais il est là, il fait passer sa main à travers mes cheveux dans un geste rassurant.

Alors je profite, parce que je sais que le jour où il disparaîtra de ma vie comme les autres, je pourrai garder ce souvenir comme étant heureux.

Je ferme les yeux comme pour pousser cette dernière heure, loin dans mon esprit. Quand je les ouvre, la lumière du jour s'infiltre dans la pièce. Je suis toujours affalée contre Mathieu et je ne sais pas quoi faire. Je tente de me détacher doucement pour ne pas le réveiller. Mais il grogne comme un ours et me replace comme j'étais initialement.

- Tu dors plus ? Je chuchote.

- Si.

- Bah non.

- Si. Ta gueule.

Il écrase mon visage contre son torse pour que je me taise mais ça me fait rire. J'ai bien envie de l'embêter puis quand je redresse mon visage je vois des traces noires là où j'avais mon visage de posé cette nuit.

Je me souviens qu'il a été là pour moi, alors juste pour cette fois. Pour le remercier a ma façon, puisque je ne lui dirait jamais directement, je le laisse tranquille et tente de me rendormir.

𝐏𝐋𝐊 | 𝙄𝙢𝙥𝙖𝙧𝙛𝙖𝙞𝙩 - ʟᴀᴅʀWhere stories live. Discover now