CHAPITRE 9

60 14 13
                                    

SÉFIA

Il existe trois types d'événements. Le premier est constitué de ceux dont on ne se souvient pas. Ils n'ont aucun impact sur notre vie. On les oublie parce que les fonctions cognitives de notre cerveau ne jugent pas nécessaire de les retenir, et paradoxalement, ces derniers constituent la majeure partie de notre existence. Puis, il y a ceux qui marquent nos esprits de la meilleure manière qu'il soit. Quand ils nous reviennent en mémoire, on ne peut s'empêcher de sourire comme des idiots. En général, ce sont ceux qu'un humain préfère, parce qu'ils nous font nous sentir bien le temps d'un souvenir. Enfin, on trouve ceux qui nous mettent plus bas que terre. Ils provoquent des cataclysmes. Pire que des tornades ou des ouragans, ils rasent absolument tout sur leur passage. Ils attachent des pierres à vos chevilles, avant de vous pousser par-dessus bord. Ils vous rappellent combien vous ne valez rien, combien votre réalité peut être gâchée en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Je suis actuellement dans la première catégorie. Cela paraît sans doute ennuyeux, mais j'aime ce sentiment de quiétude qui gravite autour de moi. J'aime qu'il ne se passe rien d'exceptionnel, c'est plutôt rassurant. Ainsi, mes deux premières semaines à Lawton High se déroulent dans le plus grand des calmes. Les journées passent lentement, et se ressemblent toutes... Je me fais ma propre place dans cette ville et dans ce lycée.

En parlant d'intégration, c'est ce soir qu'à lieu la fête d'anniversaire d'Addison Davis. Coco et Chani sont venus à la maison pour l'occasion. La petite brune est assise face au miroir, et trace un long trait d'eye-liner sur ses paupières, tandis que ma voisine traîne sur son téléphone, mon chat sur les genoux. Quant à moi, je tente de me faire une queue-de-cheval, et le résultat est plus ou moins réussi.

— Chani, j'arrive pas à faire l'autre œil... Tu veux pas m'aider ?

Je comprends pourquoi Coco demande son aide à Chani. Celle-ci se débrouille mieux que personne en matière de maquillage. Les couleurs originales qu'elle utilise et la finesse de son travail m'impressionnent.

Chani soupire et se lève en attrapant le tube que Coco lui tend. Elle se penche sur son visage, et en quelques secondes, lui applique une couche fine de khôl. Après s'être relevée, elle sourit, satisfaite.

— Putain, je gère grave !

Coco se tourne vers moi, la mine sérieuse.

— Laisse-la te maquiller.

Je déglutis avec difficulté. Chani me lance un regard encourageant et me montre son matériel d'un coup d'œil.

— Ça t'irait bien... Et je vais travailler ta coiffure !

Si cela leur tient tellement à cœur... Et puis, être jolie le temps d'une soirée, c'est une proposition agréable... En croisant mon reflet dans le miroir, je me rends compte que je suis bien fade aux côtés de mes amies. Mes cheveux ne sont pas soignés et mon teint est trop pâle par rapport aux couleurs de Coco et Chani. Je cède sous leur regard de chien battu. Les deux amies me poussent sur la chaise de bureau et je ferme les yeux. J'inspire calmement, tandis que leurs petites mains expertes se mettent à courir sur mon visage et mes cheveux...

* * *

— Et voilà !

Chani vient d'appliquer la « touche finale » à son maquillage. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire. Parce que la fille que je vois dans la glace n'est pas trop mal. Mes longues boucles blondes sont ramenées dans une queue haute. Mes joues sont plus roses qu'à l'accoutumé, ce qui me donne un teint frais, d'après ma voisine. Elle a déposé un fard cuivré qui se marie avec le gris de mes iris, et a tracé un trait sombre d'eye-liner à l'extrémité de ma paupière. Le mascara donne l'impression que mes cils sont plus longs, et le baume à lèvre, que ma bouche est plus brillante. J'aime l'apparence que je vois, mais elle me fait peur tout autant qu'elle m'enchante. Elle me rappelle combien j'aimais me faire belle, avant. Le rose dragée que j'étalai sur mes lèvres, les tresses et les chignons, les robes à volants et les talons... Tous ces efforts pour quoi, au final ? Une soirée où les garçons nous fixait, Skylar et moi, un sourire au coin lèvres, ou pour qu'ils nous offrent un verre, ou une danse... Mais cette Séfia là est loin désormais, très loin. Je ne suis plus la petite lycéenne délurée qui se rend aux fêtes pour boire, draguer et s'amuser. Je ne traîne plus avec les populaires et les joueurs de foot. Je ne flirte plus, et je ne souris plus de façon racoleuse. J'ai changé, depuis le vingt-trois avril. Une main se pose sur mon épaule, et je sursaute.

Quelqu'un Pour ToiWhere stories live. Discover now