Quelqu'un Pour Toi

CHAPITRE 34

SÉFIA

            J'ajuste les manches de ma combinaison pourpre d'une main et enfile mes baskets de l'autre. Je vérifie l'heure sur mon téléphone et m'assure d'être dans les temps. Rassurée, je m'assois sur mon lit et me penche en avant pour lacer correctement mes chaussures.

            Je sursaute quand le générique de Scooby-Doo se déclenche, signal que j'ai un appel entrant. J'abandonne mes baskets et me précipite sur mon téléphone, faisant fuir mon chat au passage. Je souris à la vue du visage qui s'affiche sur l'écran et décroche.

            — Bonsoir Mr. Rivera !

            — Prête pour une St Valentin d'enfer ? susurre Kenzo.

            Cela fait plus d'un mois qu'entre nous, c'est devenu envoûtant. Je me réveille le matin, apaisée de mes nuits sans panique. Mes journées s'enchaînent et ne se ressemblent pas, parce que chaque moment est unique aux côtés de Kenzo. Les regards, les baisers, les mots et les caresses sont toujours différents. Selon nos amis – qui avaient soi-disant déjà tout deviné – nous sommes officiellement entrés dans la catégorie « couple digne d'un roman à l'eau de rose ». Cette désignation a eu le mérite de me faire rire un bon nombre de fois ! Quoiqu'il en soit, j'apprends à apprécier tous ces sentiments encore méconnus. Je prends petit à petit confiance en moi, et je ne le remercierai jamais assez pour tout ce qu'il m'offre inconsciemment.

            Nous allons régulièrement rendre visite à Nina. Moi, trois fois par semaine. Lui, six. Désormais alitée jusqu'à nouvel ordre, la petite brune en profite pour faire bouger son frère à droite et à gauche, tantôt pour lui apporter un verre d'eau, tantôt pour ajuster ses oreillers. Son état ne s'est pas plus dégradé qu'il ne l'était déjà le mois dernier, mais je la sens tout de même faible. La dose de médicament a encore augmenté, tout comme les consultations et les exercices de respiration. J'essaie d'être là pour ses séances de kinésithérapie, puisqu'elle n'a jamais assez de force pour finir l'heure sur ses deux jambes. Alors je la soutiens. Je l'aide à revenir dans sa chambre, et nous attendons l'arrivée de son frère. C'est notre rituel à elle, P'tit Bâtard et moi.

            La lecture ne l'intéresse plus, les visites sont devenues une source d'éreintement et l'emmener faire un tour en fauteuil roulant est inenvisageable. Si le moindre mouvement la fatigue plus que nécessaire, sa vivacité d'esprit reste intacte. Je n'ai jamais autant ris de la voir remballer un docteur lorsqu'il vient lui faire une énième prise de sang, ou enguirlander une infirmière qui lui apporte l'espèce de purée dégueulasse qu'elle mange tous les mardis.

            Un jour, avec pour idée de passer une soirée entre filles, je suis venue à l'hôpital sans la prévenir. J'ai été surprise de trouver Nina et Harley dans les bras l'un de l'autre, allongés sur le lit. Il ne m'en a pas fallu plus pour deviner ce qui se tramait entre ces deux-là. Nina s'était endormie, mais Ley a écarquillé les yeux en m'apercevant. Il s'est levé sans bruit, et m'a entraîné dans le couloir avant de me demander de ne rien dire à Kenzo. Je lui en ai fait la promesse. Ce n'est pas à moi de le faire, même si je n'aime pas l'idée de faire des cachotteries à son meilleur ami.

            J'avance jusqu'à ma fenêtre, tire le rideau et jauge sa voiture un instant. Ses phares éclairent ma rue. Au volant, Kenzo se penche vers le pare-brise comme s'il se doutait d'où je me tenais, et me fait un signe de la main.

            — Plus que prête, je lance dans le combiné.

* * *

            J'ouvre la porte et nous nous engouffrons rapidement dans le bar-restaurant de Darcy. L'odeur du milk-shake à la banane et des muffins au chocolat envahissent mes narines. Une main au creux de mes reins, Kenzo m'invite à le suivre, et nous allons nous installer à une table près des fenêtres.