FANTÔMES 👻

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Toujours soucieux des traditions, je sors de ce bar avec une mouche comme logo rue Lackanal, en cherchant l'équilibre sur le trottoir comme sur le pont d'un rafiot. Mon passage de relation publique dans cet endroit atypique, se heurte invariablement à l'hospitalité du propriétaire avec sa mèche noir sur le front et sa ressemblance avec Nicola Sirkis d'INDOCHINE. J'aime venir à l'acuponcture dans cet anticonformisme, ce lieu que l'on ne peut comparer à nulle part, musicalement et viscéralement anti commercial, presque occulte et ésotérique pour les initiés. Dur d'échapper à ces shooters de vodka caramel qui courent le long du bar, et nous, courant derrière, sur un live de Miss Kittin volume à fond.

Quittant difficilement l'homme que je surnomme affectueusement « Louis 14 » et mon travail de Com effectué, si j'ose le dire ainsi, je fais un détour place Victor Hugo pour laisser les vapeurs d'alcool se dissiper avant de rejoindre mon club. J'arpente surtout ces lieux pour respirer cet air frais qui calme ces nausées qui me tiraillent. Je sens dans ma chair cette plaie qui s'est rouverte, cette maudite blessure par balle qui s'est infectée. Je me gave d'antidouleur, je prends un peu de coke quand le mal atteint la limite du supportable, nettoie la plaie consciencieusement, mais rien n'y fait. Je suis pris de vertiges récurrents, comme à cet instant où je stoppe ma marche. Je pose mes mains sur mes genoux pour souffler un grand coup, seul remède à ma disposition sur le moment. Comme toujours, je fais l'erreur de penser que rien ne peut m'atteindre, que je suis invincible, que le temps fera les choses selon mes désirs.

Mais putain, là... je ne suis pas bien.

Plus que d'habitude, mon estomac essuie une tempête, ma vision ne discerne plus l'horizon du pavé. Je laisse derrière moi cette grande place au nom de l'auteur des Misérables et pénètre avec mon mal de mer dans ce raccourci, la sombre rue Guetal qui va me mener directement au Kameleon. J' hâte le pas, mais je sens comme des picotements dans mes membres inférieurs, une sensation bizarre m'envahit. J'ai le pressentiment que je n'atteindrais pas mon but, je me sens partir... non, je n'atteindrais pas l'autre rive...

Je traverse cette ruelle en m'imprégnant de son atmosphère lugubre, son humidité et ses odeurs de poubelles que les rats partagent avec moi. Je sais que je voyage dans mon imaginaire, pourtant, tout à l'air si réel ! Je foule ce trottoir en faisant taper sur lui mes talons, comme si je voulais faire fuir les serpents dans cette jungle urbaine. Je vois dans un angle de cette rue éclairé à la lumière du seul réverbère des lieux, un graffeur en train de laisser libre cours à son art éphémère. Posté derrière lui, et lui, nullement inquiété par ma présence, je reste là, impatient de voir son œuvre se révéler à mes yeux. De dos et capuche sur la tête, il me cache encore son talent par son corps et me surprend par sa volte-face qu'il effectue avec une incroyable rapidité. Je suis pris au dépourvu. J'ai à peine le temps de poser ma main sur la crosse de mon arme, qu'il est à quelques centimètres de moi, presque touchant. Je pourrais sentir son haleine s'il en avait une, mais il ne respire pas. Son visage ressemble à un miroir, une espèce de liquide réfléchissant où j'apparais, les trais tirés, le teint terne et usé par le temps. Dans la profondeur de mes yeux, je ne ressens pas d'animosité émanant de ce spectre, de la projection de cette sombre partie de moi même. Il me fait un geste du menton en direction du mur, il me demande de le regarder en s'écartant de mon chemin que je puisse le contempler. Un peu perturbé par ce moment que je sais être une hallucination, mais d'une telle clarté que je pourrais me demander si je ne sombre pas dans la folie, je sors mon flingue pour rassurer. Je m'approche du mur en plissant les yeux pour mieux voir ce qui se cache dans le noir.

Devant moi, se matérialise peint sur la pierre avec l'aide d'un pochoir, un masque vénitien que je connais. Je m'approche encore, il y a une inscription faite à la bombe rouge sang au côté du dessin. Pas besoin d'être devin pour savoir ce qu'elle signifie, Max, voilà ce que je lis. À la vue de ces trois lettres, je sens un courant d'air frais me parcourir et me glacer le sang. Je me retourne arme au poing et cherche du bout de mon canon le fantôme qui a disparu. Je regarde de chaque côté de la rue, désemparé, et ce que je pensais avoir vu, n'est plus. Derrière moi un bruit soudain me fait sursauter. Je braque mon arme dans cette direction et me retrouve face à un gros rat qui me regarde les mains levées. On dirait une caricature, un rongeur de bande dessinée. Il me fait penser à une œuvre, « le rat anarchiste » d'un artiste de street art qui veut comme moi rester secret. Je me détourne de lui une fraction de temps et comme un pied de nez, il disparaît.

Memento MoriWhere stories live. Discover now