ELLE ⏳

195 2 0
                                    


« Le hasard est le résultat d'une immense équation dont nous ne connaissons pas toutes les racines »...H/B

Plaine de Kapisa, Afghanistan .

La pointe de mon couteau grave le prénom de cette fille sur le bois, activité singulière qui me permet d'échapper au moment présent. Je laisse une trace d'ELLE partout où je vais, sur un mur ou dans une forêt, j'ai une attirance perverse pour les peupliers. Instant solitaire où plus rien ne compte autour de moi. Pas de son encore moins d'images, je ne vois qu'elle. ELLE et l'effluve d'un bouquet de Lilas qui me transperce. Depuis toujours, je m'efforce de cacher à mes amis cette mélancolie qui m'habite, cette tumeur agrippée à mon cœur dont je ne veux pas être soigné. J'ai bien trop peur de l'oublier. Combien de fois j'y ai pensé! Sortir mon calibre et me faire exploser la tête pour la retrouver, mettre un terme à cette peine qui me dissout les vicaires, j'ai une balle dans la poche que j'ai creusée moi-même. Si je crève, surtout n'hésitez pas. Découpez-moi en morceau. Distribuez tout ce qui est encore en état de marche, et brûlez mes restes dans un feu de joie. Mais ne prenez pas mon cœur. De toute façon, cela fait bien longtemps qu'il n'est plus à moi. 

Elle l'a emporté avec elle. Je sens encore sa main sublime me pénétrer la peau et me l'arracher sans anesthésie, le jour où elle s'est coupé les veines.

Demain... c'est décidé, je le ferai.

Depuis l'aurore, nous subissons une attaque des talibans sans précédent. Elle a commencé juste après la prière du matin, le lieu de culte doit avoir l'odeur des vestiaires du quinze de France. Un imam a trouvé les bons mots pour qu'ils soient aussi offensifs. Cela fait déjà deux heures que nous restons cloîtrés dans ce bunker pour nous protéger du déluge de feu. 

Bastion français positionné au centre d'une vallée, de notre forteresse nous avons une vue imprenable sur l'ensemble des massifs montagneux environnant. Comme disait Stendhal sur ma ville natale, « Au bout de chaque rue, une montagne ». Mais il n'y a pas de rue dans la vallée de l'Alasay. Comme chez moi il y a des sommets enneigés, le sillon d'un cours d'eau et une végétation propice aux embuscades. Ici, le danger est partout présent. Tu tiens ton Famas dans la main droite, la grande faucheuse te tient la gauche.

Je mets une dernière touche à ma gravure éphémère, embrasse pudiquement mon fantôme du passé et range le couteau dans ma poche. Je passe de mon jardin secret à une terre aride, l'odeur de terre brûlée me fait revenir sur terre, d'une volupté imaginaire à l'enfer. Je jette un œil sur mon Omega, la trotteuse est en symbiose parfaite avec la cadence de tir d'Alex incrusté à la mitrailleuse, et notre artillerie qui riposte sans relâche. L'appui aérien que nous avons demandé se fait attendre, mais il ne devrait pas tarder. Cela va clore le débat, les Mirages 2000 sont là pour ça. Un épandage à la javel pour éradiquer les bactéries, puis se sera à nous d'entrer en scène pour terminer le nettoyage à la serpillière. J'adapte mon vocabulaire à la guerre propre, pour coller à la tendance écologique et la diffusion médiatique que le CSA veut photo hygiénique. Cacher l'horreur derrière une cause juste. Diluer le sang versé dans un verre commun pour noyer la complicité, éviter la culpabilité générale qui enraillerait notre modèle économique compromis. De là où je suis, je la vois la guerre. J'ai un panoramique sur tout ce que l'homme a de plus abject, sale et sans pitié. Je me fous du Bushido, l'honneur, l'art de la guerre et toutes ces conneries. Pour moi, la propreté commence par un combat sur le même pied d'égalité. On fait la guerre à des types bloqués à la période médiévale avec l'intellect de chasseur cueilleur, alors laissons-leur le choix des armes. Je ferais bien cela au milieu d'une plaine en rang d'oignon à la Braveheart, offensive à la Conan avec toute la panoplie qui va avec, crom, le secret de l'acier et Sophie Marceau qui me soigne avec son sein sous le pif.

Memento MoriWhere stories live. Discover now