nO ReToUr ♻️

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J'ai su par hasard que notre premier objectif avait une petite garçonnière dans le quartier historique de la vieille ville. Seul à connaitre son visage, je me suis planqué sur les lieux pour le localiser. Mais rien à faire, je ne l'ai pas trouvé. Je sais maintenant qu'il réside dans la famille dans le quartier de la Villeneuve, en périphérie de Grenoble. Il doit se croire en sureté au milieu de ces immeubles tel un prince dans sa forteresse, mais rien n'empêche les courants d'air de passer.
Tous les soirs, lui et sa clique, se réunissent sur la place des Géants pour fumer du shit , prendre un peu drogue et refaire le monde en imaginant devenir le genre d'homme qu'ils ne seront jamais.
Pour se faire respecter et redouter dans les cités, il faut avoir prouvé que tu es plus fou que le mec d'à côté. Ils sont d'ailleurs moins organisés, moins professionnels que le milieu traditionnel, mais bien souvent plus audacieux. Ils considèrent avoir une durée de vie limitée. Les hommes à l'avenir incertain vivent d'abord pour l'instant présent, demain est un autre jour : vivre intensément ou ne pas vivre, voilà leurs devises. L'homme que je vais crever ce soir est à un haut degré de folie. Si je n'ai qu'un problème personnel avec lui, il est d'utilité publique de nettoyer la rue de ce genre de type. Je me rattache à cet argument pour justifier mes actes à venir. Il y a des hommes pour qui la justice du prétoire n'a pas fonctionné, mais la justice du trottoir ne va pas les oublier.
Il y a trois jours, au petit matin, tels des agents EDF, Stéphanie et Alex ont fait le tour du quartier comme s'ils relevaient les compteurs électriques de ce vaste complexe immobilier. Ils ont pu atteindre incognito un endroit précis, cette fameuse place où ils se réunissent tous le soir venu. Sous un long porche qui les protège des éléments naturels, ils y ont installé un micro. Juste un petit mouchard qui nous permettra de percevoir dans le flot de leurs discutions si notre homme est sur les lieux.

Nous sommes maintenant en place. Chaque équipe habillée en flic patiente dans une voiture dans l'attente de mon ordre d'engagement. Jérem est à mes côtés. Pistolet mitrailleur UZI qui fait corps avec sa main, avec une cagoule sur sa grosse tête roulée comme un bonnet. Nous sommes Bravo un. Nous allons être à leurs yeux des policiers des plus banals pendant une ronde de nuit. Nous attendons impasse des Érables les infos de Stéphanie, qui se trouve dans une autre rue avec Olive et Alex dans le Jumpy. Ils seront Bravo deux. Seul boulette patiente à quelques rues d'ici avec une voiture de soutien si l'un de nos véhicules tombe en panne, ou que l'on ait besoin d'un appui si tout par en vrille. Il vaut mieux être prévoyant. Il sera Bravo trois.

« – Bravo un ? »
« – J'écoute. »
« – Il y a du monde sur la place, je te fais écouter les conversations. »

Leurs éclats de voix et leurs rires nous parviennent, leurs insouciances aussi. J'essaye de me concentrer sur leurs dialogues d'une hauteur intellectuelle qui ne sortent pas de la bouche d'érudit. Leurs connaissances globales doivent tenir sur une page de l'encyclopédie écrite en grosses lettres, le tout mélangé avec le morceau « La France » de Sniper sur une enceinte pourave. On touche le fond. Je cherche au milieu de ce vocabulaire enrichissant cette voix familière. Je me rappelle mon entretien avec lui comme si c'était hier. Mais son autorité va me faciliter la tâche. Car tel un chef de meute, tout le monde se tait quand monsieur se décide d'ouvrir sa gueule. Je n'entends que lui et il n'est pas discret. Cette simple marque de respect va signer sa fin sous ce porche qui ne le protège de rien.

« – Bravo deux, Bravo trois, objectif sur zone. Je suis le seul à connaitre son visage. Ouvrez le feu que s'il y a tire de représailles. Bravo deux, restez en position à la sortie du tunnel sauf contre-ordres. Intervention à mon top départ. »

Tous me répondent par automatisme. Je saisis mon chargeur et l'insert dans mon Glock 17. Je regarde ma main, elle ne tremble pas. Pourtant elle devrait, ne serait-ce qu'un frémissement pour la normalité. Je pourrais ressentir de la peur, de la pitié, de la compassion, mais il n'en est rien. Le premier chapitre de notre sombre destinée commence à s'écrire à cet instant. Je laisse un petit moment de flottement. Pas pour faire durer le suspens, juste pour laisser le temps à chacun de se concentrer. Je leur laisse profiter des derniers instants d'homme qui faisait partie de la masse, d'un tout, on va basculer à la marge de la société. J'ai la secrète espérance que l'un d'entre-nous se décide à faire marche arrière...mais il est clair que personne ne le fera, aucun d'entre eux ne l'a jamais fait.

Memento MoriWhere stories live. Discover now