Bar 1900 🍹

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A la terrasse d'un bar Place Notre Dame, une femme profite d'un courant d'air printanier pour déguster un verre de vin. Elle noie son temps au milieu des citadins dont elle ne fait pas partie, instant d'insouciance que sa vie ne lui donne pas la possibilité de jouir. Une pause bien méritée après son incarcération forcée, la libération de Max et le souvenir de se flingue posé sur sa nuque par un fantôme. Elle sent sa présence à chaque coin de rue, un spectre familier est sur ses talons.

Mais elle est là, sur la terrasse du « Bar 1900 », accompagnée d'un verre qui ne demande qu'à profiter des lèvres de cette femme si désirable. Entre deux gorgées, elle regarde dans le creux de sa main cet objet rectangulaire et métallique, le « Zippo » d'un homme qui n'en a plus besoin. Il doit profiter de son repos éternel dans un lieu sans sommeil, allongé sur un matelas de braise qui ferait hurler un fakir, la plante des pieds léchée par des flammes incandescentes.

Un serveur chaussé de baskets Nike excentriques, s'avance doucement dans sa direction. Il veut approcher l'attraction de sa terrasse, sans paraitre oppressant. Il vient juste chercher un sourire un regard, il veut voir sortir de sa bouche ne serait ce qu'une bagatelle orale.

– Vous avez besoin de quelque chose, mademoiselle !

Il parcourt avec ses yeux sa plastique et espère secrètement qu'elle aura besoin de ces services.

– Ça ira, je vous remercie, lui répond-elle simplement.

La simplicité aurait été une réponse sur un ton monocorde sans lui accorder un regard, mais ses mots s'accompagnent toujours d'une gestuelle et de mimiques qui apportent du chic à son sex-appeal. Le serveur tourne les talons un peu déçu, mais, pour autant, rien n'est jamais perdu.

– Monsieur s'il vous plaît !

– Oui ! Lui répond-il avec une précipitation trop visible.

– Auriez-vous la gentillesse de me procurer une cigarette, je n'en ai pas sur moi.

– Je vais vous trouver ça.

Il aurait aimé lui dire, « tout ce que tu voudras »

Pendant qu'elle continue de consommer son verre, à l'intérieur du bar des hommes s'écharpent. Ils se demandent qui va bien pouvoir satisfaire les désirs de cette femme et de graver dans l'histoire de ce comptoir ce jour, où telle personne a fait ce que les autres n'ont pas eu le courage de faire. L'anecdote de cet instant deviendra comme ce conte récurant qui s'agrémente au fil du temps. Ils rajouteront des détails mensongers au fur et à mesure que l'aventure sera narrée, elle commencera toujours par « il était une fois », pour finir un jour en « ils se sont mariés et eurent beaucoup d'enfants ». Le serveur accourt avec son présent, un petit chinois l'a suivi jusqu'au seuil de la porte pour vérifier s'il va bien mettre à exécution son plan.

– Tenez, si vous avez besoin de quoi que ce soit ?

– Merci c'est gentil, lui dit-elle avec un sourire qu'il prend pour une récompense.

Elle a bien senti une résistance quand il lui a tendu la cigarette, une connexion éphémère qui pourrait agir comme fil conducteur à condition que le courant passe. Mais le garçon de café s'est déballonné, elle a souri à son manque de cran et à la chance qu'il a laissé filer, son verre, elle l'aurait accepté. Elle porte la clope à ses lèvres et ouvre sa main où se cache un objet à la symbolique bien particulière. Elle le caresse avec le pouce, le pèse, le regarde sous tous les angles. Tout comme le milieu, elle connait bien l'histoire de ce briquet, l'étincelle de torche humaine. Elle ouvre le capot, une odeur d'essence s'en dégage, elle fait tourner la molette qui frotte la pierre et une flamme apparait.

Le dégoût de la cigarette la ramène à la réalité et l'écrase dans le cendrier.

Elle jette le « Zippo » au fond de son sac Longchamp acheté dans un store de Tel-Aviv et quitte la terrasse sans finir son verre, elle a rendez-vous avec une vieille connaissance.

En avance sur l'ouverture de « La Goulue », Mel décide de faire un détour par la rue Brocherie pour tuer le temps. Elle passe devant l'épicerie du vieil indien qui doit avoir des indics, le mec est scotché à la vitrine comme un poisson-nettoyeur dans son aquarium. Elle le salue sur son passage comme à son habitude, le balai d'essuie-glace lui répond d'un geste ample. Elle continue en direction de la place du tribunal en rédigeant un petit texto à l'adresse de Max. Pourquoi allez boire un verre seul quand on peut être accompagné !

« Va boire un verre chez Jungen... désespérément seule »

La réponse ne se fait pas attendre bien longtemps.

« Suis Place de Gorde, je te rejoins... on sera deux »

Heureuse du moment qu'elle va pouvoir partager avec lui, elle accélère le pas pour se cacher à la sortie de la rue d'Agier qu'il devrait logiquement emprunter. Elle s'assoit, à l'affût, derrière la statue du chevalier Bayard pour lui faire la surprise, l'espionne joue son rôle à merveille. Excitée comme une enfant qui se planque dans un jeu de cache-cache, elle attend là avec impatience, l'impatience d'être trouvée.

Mais l'instinct de ces personnes au lourd passé est réceptif à ces détails anodins, comme la chair de poule sur la peau, les bruits ambiants qui se sont tus et la perception d'une tension soudaine qui apparait dans l'atmosphère.

Elle sort de sa cachette et fait face à cette ruelle qu'elle voit s'assombrir. Elle espère que, pour une fois, ses sens l'ont trompée et qu'elle verra déboucher du noir l'homme qui lui a apporté un peu de lumière.

Deux puissantes déflagrations d'une arme à feu émergent des ténèbres. Les échos l'ont fauchée comme des coups de poignard, elle n'arrive plus à respirer, les balles lui ont traversé la chair. Elle reste un instant plantée là, perdu, ses jambes ont dû mal à la tenir. Elle en a conscience mais ne peut l'accepter, le pire vient d'arriver. Mais la faiblesse humaine de cette femme ne dure jamais, c'est l'animal sauvage qui sommeille en elle qui reprend le dessus. Elle sort son arme à la surprise des clients du restaurant d'à côté et s'élance avec rage dans les ténèbres.

Elle stoppe sa course à bout de souffle à la sortie de la rue d'Agier et voit cet homme face contre terre au centre de la place de Gorde. Elle lève son arme pour avoir une vue d'ensemble de la place sur la défensive, sa vision est trouble. Mais devant le tableau abstrait qu'elle a sous les yeux, ce qu'elle pensait être une chimère, une hallucination, est pourtant bien réel. Elle porte une main sur sa bouche pour s'empêcher de hurler, recule de deux pas pour s'éloigner de cette vision qu'elle ne peut accepter. Le monde s'effondre autour d'elle, téléportassions direct sur la dune d'un désert aride.

Elle a devant ses yeux, ... le seul homme qu'elle a aimé.

Memento MoriWhere stories live. Discover now