THE PSY 😷

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– Bonjour Lieutenant Deveaux, vous êtes allongé ! Cela tombe bien, nous allons pouvoir commencer.

Un homme pénètre dans mon mouroir avec un petit rire satisfait, accompagnée d'un courant d'air qui fermera ma fenêtre avec autorité. Je n'ai rien à regarder au travers de ce cadre, mais contempler le vide m'apaise, cette vu sur le dehors est mon seul espace de liberté. Je quitte par cette lucarne ce corps meurtri, je me détache de ce qui me fait souffrir, je me surprends même à rêver.  Il est en face de moi et sourit tout seul à sa blague de mauvais goût. Il a oublié qu'a cet instant je ne suis qu'un assisté. J'ai besoin d'aide pour me laver, j'appelle au secours pour mes besoins naturels, je ne me suis jamais senti aussi humilié. J'aimerais pouvoir me prélasser sur un divan bien sûr à l'écouter, mais avec le plaisir élémentaire si je le décide, de pouvoir me barrer s'il s'approche de trop près. Seul mon esprit n'est pas enchaîné à ces barreaux qui courent le long de ce lit. J'ai peur qu'avec le temps il finisse par m'abandonner, c'est peut-être cela , « perdre l'esprit ».

Il m'annonce qu'il est le psychiatre en chef de l'hôpital, ce que j'avais bien sûr remarqué. Il arbore sa dénomination au revers de son veston qu'il me montre fièrement du doigt. Il a bien insisté sur le chef pour compenser un physique fluet et sa calvitie naissante. Son statut professionnel doit être son seul argument de valeur face aux femmes qui n'ont pas besoin d'être écoutées, parce que pour l'humour, c'est raté. Il me regarde avec ses yeux ronds inquisiteurs, en attente de moi une réaction. Je reste de marbre. Dois je faire l'impressionné, sourire à son humour, lui dire bonjour ? Impassible, voilà ma posture du moment. Je n'ai de toute manière jamais porté les psys dans mon cœur, prenant leurs analyses comme une espèce de jugement sur mon comportement que j'ai toujours assumé. Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours eu cette violence qui sommeille en moi. Je suis un homme excessif et je le sais. Trop même, comme le dernier psy que j'ai rencontré. Ce vicieux avait voulu me toucher.

Je sais déjà ce que le complexé va me demander. Je sais pourquoi il est là, mais je n'ai pas envie de m'épancher. J'ai vécu un traumatisme important avec la perte d'hommes dont j'avais la responsabilité. Il va falloir que je vive avec et je vivrais. Paradoxalement, je me sens bien et serein, comme si je m'étais libéré d'un poids bien plus grand. Une douleur ancienne profondément encrée qui s'est dissipée. Elle est là, latente, mais je ne sais plus ce que c'est.

Le psy s'est assis sur une chaise les jambes croisées, sans carnet à spirale et de stylo pour faire semblant de noter son intérêt envers son sujet. Derrière la première impression qui me rebute après une succession d'expérience passée, se cache peut être de la sincérité, mais...je n'éprouve pas le besoin de parler.

– Vous n'avez pas envie de parler Lieutenant ?

– Je ne suis plus Lieutenant, je viens d'être reformé.

– Et pourtant vous me répondez ! me dit-il avec malice. Permettez-moi de vous rappeler que même rendu à la vie civile, vous aurez une oreille attentive si le cœur vous en dit. Vous venez de vivre des moments d'une intensité extrême avec une finalité tragique...

Comment expliquer à Nietzche que j'ai vu par de là le monde des vivants, que la mort ne me fait plus peur. Que j'aurais aimé faire le grand saut au bout de ce tunnel qui m'a entouré d'amour, passer cette porte à sens unique pour plonger dans la lumière originelle ! Mais qu'un ange gardien, ma grand-mère dans l'au-delà m'en a empêché. C'est un coup à me faire prendre pour un fou, un suicidaire et me faire interner. Comment justifier à ses yeux ce manque de tristesse à l'égard de mes hommes que j'ai perdus. La seule peine qui m'habite est égoïstement le manque que me procurent mes amis. Ma réponse sera le mutisme, encore et toujours.

– Je comprends, il faut du temps, finit-il par me dire, le regard compréhensif. Alors, passons à autre chose si vous le voulez bien. Nous avons retrouvé dans vos effets une petite sacoche zippée en plastique. Cela vous dit quelque chose ?

– Dites-m'en plus ?

– Elle contenait un petit bout de papier avec une inscription... « Désolé », et une balle de 9 mm.

– Cela ne me dit rien, lui répondis-je sans pouvoir cacher ma perplexité.  Mais à vous par contre, ça semble vous parler ?

– L'ogive du projectile a été creusée, probablement avec le couteau à cran d'arrêt que l'on a retrouvé sur vous par la même occasion.

– Vous dites probablement !

– L'application qui a été donnée pour creuser cette balle, dénote un désir certain d'en finir Lieutenant, quasi obsessionnel. Avez-vous une tendance au suicide ?

Je marque un temps de recul face à la balle qu'il me montre du bout des doigts. Je ne vois pas de quoi il me parle. Je crois que le moment est venu de fermer ma gueule, mon ticket d'entrée à l'asile est en cours de rédaction.

-Bien, je vois. Vous permettez que je la garde ! me dit-il en la glissant dans sa poche. Je me suis entretenu avec votre mère un court instant. Elle m'a parlé de votre adolescence qui n'a pas été de tout repos pour elle !

Je souris à la pensée de ma pauvre mère, non pas sur ce que j'ai bien pu lui faire subir. J'imagine juste l'entretien de ces deux protagonistes qui au départ était tourné sur ma personne, mais qu'elle a du faire dériver sur ses soucis à elle, pour que je ne sois plus à la fin le nœud du problème. Ils ont du terminer leur rencontre avec un échange de carte et un rendez-vous bien planifié.

– Vous souriez Lieutenant ?

– Cela m'arrive....

– Votre adolescence ?

Je replonge mon regard au travers de la fenêtre, qui m'offre seulement une variation de couleur en fonction du temps. Seules quelques feuilles ou des oiseaux viennent parfois traverser le monochrome unique au reflet changeant. Ils sont comme mes souvenirs d'enfances traversant le tableau de mon adolescence, diffus, imprévisible, ils vont ils viennent au gré du vent, passant furtivement et disparaissent en laissant place au sentiment, seul vestige d'un moment qui me permette de savoir s'il a été agréable, heureux ou terrifiant.

Voilà à quoi se résume cette partie de ma vie, un brouillard pénétrant, une coquille vide remplie par le néant.

Memento MoriWhere stories live. Discover now