Père noël aux ordures 🎅

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Dans ce hall d'immeuble, il fait face à son rendez-vous hebdomadaire la gorge sèche le cœur serré, il pensait que jamais plus il n'aurait à l'endurer. Il le regarde avec crainte, bien plus encore aujourd'hui qu'hier, l'euphémisme n'a pas lieu d'être. Il ressent en lui le bouillonnement de ses fluides corporel, la liquéfaction est proche, une envie pressante pourrait jaillir par les pores de sa peau comme un geyser. Il essaye tant bien que mal de se contenir, mais freiner son pied qui tape sur le sol lui est impossible, une trahison qui prouve son anxiété, la balle de 9 mm qu'il fait passé de main en main, encore moins.

Benbarka est devant lui, juste là comme si de rien n'était, à compter ses billets et il ne se l'explique pas. Le scénario était pourtant simple, pas d'intrigue ni de rebondissement, un petit meurtre d'Agatha Christie en trois lignes, même Hercule Poirot aurait tendu le dossier à Miss Marpel pour ce foutre de sa gueule.

Il est arrivé détendu et de bonne humeur, il lui a même demandé comment il allait. Mais dans un sourire se lit la sincérité, et c'est bien ce qui manque à cette marque de sympathie, les rides de la patte-d'oie sont restées inertes. Il joue un rôle qui ne lui est pas destiné et l'homme qui tape du pied l'a bien compris.

– Tu as l'air d'avoir la forme Tarek, lui demande-t-il juste pour parler.

– J'ai suivi ton conseil, j'ai arrêté de fumer, lui répond-il en rangeant ses billets.

– Tu fumais trop, ça allez te tuer, comme s'il se souciait de sa santé.

Le bras de Benbarka fend les airs et chope à la volet la balle comme un mouche qui t'emmerde, la tiens du bout des doigts par ses extrémités et l'examine à la lumière du couloir.

– Ce n'est pas pour ça. Tu as le flingue qui va avec ?

-Non, c'est mon porte bonheur.

-Plus maintenant. Comme je disais, non, ce n'est pas pour ça. C'est juste que j'aie peur de retrouver mes mégots à des endroits où ils ne sont pas censés se trouver. Tu vois ce que je veux dire ? Lui dit-il en glissant la balle dans sa poche.

Il retrouve soudainement l'homme qu'il a toujours connu, sa physionomie est devenue plus menaçante que jamais. Son pire cauchemar, lui dans le coffre d'une voiture en flamme se matérialise, des vapeurs d'essence flottent dans les airs. Mais il réalise qu'il a des variantes dans sa manière de tuer, c'est avec le couteau qui est sorti de sa manche qu'il va se faire immoler.

Il est dos au mur et le boucher bloque l'entrée, il n'y a pas d'échappatoire, sa seule issue est dans la main de l'homme qui va le tuer. Il lève légèrement ses bras dans sa direction pour tenter l'illusion d'une esquive, son pied a déjà compris, victime d'une mort subite. Il n'y a pas à discuter avec ce genre de type et encore moins se lamenter, il l'a trahi et il connait le tarif. Mais le couteau, c'est terminer sa vie comme un mouton pour L'Aïd El Kebir, l'archange Jibril n'habite pas le quartier et jusqu'à preuve du contraire, il ne s'appelle pas Ismaël.

Alors il attend la lame qui va pénétrer sa chaire, un prélude douloureux avant une perforation multiple pour en finir avec l'abattage rituel.

Mais comment peut-on croire au miracle quand on s'imagine déjà en train de crever la gueule ouverte ?

Comme cette porte d'entrée qui subitement s'ouvre avec fracas et fait perdre l'équilibre à son bourreau !

La lame glisse sur le sol dans un tintement qui l'arrache de sa torpeur comme un réveil violent. Il la suit du regard et revient sur Benbarka vautré par terre aussi surpris que lui, il a pris l'angle d'un vieux chêne en pleine face.

Son miracle est un clochard à la longue barbe jaunie et d'un crâne recouvert d'un bonnet de l'OL qui vient de faire une entrée. Il passe, de temps en temps, rendre visite à la vieille du premier. Un vestige des années folles, un sapin de Noël accoutré de boule et de guirlande qui lui fracture les tympans avec ses vinyles de Maria Callas à fond. Marie Christmas et le père Noël au chômage longue durée font la paire.

L'alcoolo beugle ivre mort à demi dans la rue et sur le palier, le pied de vigne retient la porte grande ouverte. Pris par une résurrection soudaine, c'est son pied qui s'enfuit le premier, il saute d'un bon par-dessus l'homme a la galanterie qu'il distille. Il atterrit dans l'allée et prend la fuite la mort aux trousses pour disparaître dans les ruelles sombres du quartier.

Et dire qu'il voyait passer devant lui ce clochard avec une montre de luxe au poignet depuis des jours, il attendait juste le courage de dépasser sa phobie pour le dépouiller.

« Et s'il lui avait volé, l'aurait-il sauvé ? ». Il croit au mauvaise œil.

Il a toujours refusé, enfant, de s'approcher de l'homme en rouge payé 10 francs de l'heure à Carrefour et le temps n'a rien arrangé, cette ressemblance avec lui a exacerbé son blocage. Sa répulsion infantile a fini par trouver réponse dans ses réflexions d'adulte : Il mentalise au travers de la belle image du père noël une attitude féérique de prédateur, un gros pervers sans enfants qui utilise des lutins comme esclave, un pédophile aimé de tous sous couverture capitaliste, un syndrome de Stockholm planétaire.

– « Viens sur mes genoux mon petit. C'est bien, sois gentil. As-tu été sage cette année ? »

– « Oui père noël. »

– « Sais-tu garder un secret ? Attention, si tu le dis à tes parents, tu n'auras pas d'étrenne. Compris ?... »

– « Promis juré père noël. »

Il court et court encore sans but précis, il n'a plus confiance en personne mais fait volte face...le masque blanc. Il ralentit sa fuite, fouille dans ces poches en marchant et y sort un espoir, un simple numéro de téléphone sur un bout de papier.

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant