HASSEN 🧞‍♂️

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Posté derrière un rocher, Hassen attend avec anxiété l'arrivée du détachement français. Depuis la veille au soir déjà, ils sont là terrés, disséminés un peu partout pour une embuscade de grande ampleur. Il a eu le temps de réfléchir, mais ne comprend toujours pas comment le chef de groupe taliban, l'homme à la "barbe rouge orangé" a pu avoir cette information de première main, que les forces françaises passeraient dans ce secteur. Seul un comité restreint au sein de la grande muette est dans la confidence, ces informations sont classées top secret. Il a entendu le chef de guerre il y a quelques minutes, recevoir un coup de téléphone d'un marchand qui sillonne la région avec son âne. Il lui a annoncé que des soldats de l'OTAN arrivaient.

S'il vit depuis longtemps sous le feu de ses alliés, il a toujours pu échapper à la confrontation directe, profondément cachée dans les grottes avoisinantes. Mais aujourd'hui, il ne va pas pouvoir y échapper. C'est ce qu'il a toujours redouté. Ses pensées sont tournées vers l'homme qui commande la section en train d'arriver. Il aimerait par télépathie pouvoir influencer son jugement, lui souffler dans l'oreille qu'il avance en terrain miné. Mais il sait qu'il va là où on lui a ordonné, il suit le chemin qu'on lui a tracé. Derrière son rocher, il a les mains liées. Sur la ligne de crête, il aperçoit un casque en kevlar apparaître, et des jumelles qui scrutent la petite vallée qui est en aval de sa position. Le guetteur ne verra rien, ses ennemis sont bien cachés. Les fous de dieu ont prévu de se dévoiler quand une grande partie du détachement aura franchi la petite plaine, avec un petit muret en son centre. C'est seulement à ce moment précis que se décidera l'ouverture de la chasse aux apostats. Il aimerait pouvoir crier pour les prévenir quitte à donner sa vie, mais il a reçu des ordres aussi "Garder votre couverture à n'importe quel prix". Trois soldats apparaissent. Ils courent arme au point vers le muret pour se mettre à couvert, afin de se positionner en appui des dix autres qui se sont élancés à leur tour. L'abattage massif va bientôt pouvoir commencer. Malgré la situation, il se réjouit de la prudence du chef de section français qu'il a repéré. Il n'a pas engagé l'intégralité de son groupe dans cette reconnaissance. Il a senti que le lieu était risqué comme un clebs la truffe au vent. À sa gauche, un coup de feu retentit. Hassen regarde le djihadiste qui a ouvert en premier les hostilités, avec une passivité dure à contenir. Le tireur ne cache pas sa joie. Il se congratule de ne pas l'avoir raté. Il a fallu que cela soit un converti, un parisien instruit dans une école républicaine qui a tiré. Hassen s'en rappellera, il ne l'oubliera pas et la prochaine fois, il ne se contentera pas que de le fusiller du regard. Ça tire de tous les côtés et contrairement à ce qu'il redoutait, les pertes sont plus importantes du côté des embusqués. Ils sont mal entraînés et non pas les moyens d'une armée, mais le feu n'est pas fini. Au loin sur son perchoir, l'homme à la barbe rouge orangé l'interpelle, en lui désignant l'objet qu'il a ses pieds. Il a malheureusement hérité d'un lance-roquette antichar et dans sa position, il n'a pas pu refuser. Il regarde le RPG 7 avec hantise, c'est l'arme qui peut déchaîner les enfers. Il va devoir tirer, mais il a un plan. Il sort de son rocher, la roquette bien en évidence quitte à être pris pour cible. Il cherche à croiser le regard du chef français pour qu'il saisisse la tournure des événements. Il a tout de suite compris, de loin il l'entend ordonner le repli. Il se met en position puis ajuste sa visée, mais dans la débandade, un soldat français a décidé de ne pas respecter l'ordre. Son acte héroïque est de courte durée, mais il a semé le doute chez les assaillants. Ils ont eu devant leurs yeux dans sa plus belle expression d'un martyr. Dans sa ligne de mire, il les voit courir et atteindre leurs buts, en échappant miraculeusement aux balles comme si elles étaient déviées par la volonté d'un homme qu'il connait bien. Il fait appel à lui à longueur de journée, et aujourd'hui il semblerait qu'il n'y avait pas de friture sur la ligne.
Maintenant il doit tirer. Il pose son doigt sur la gâchette puis l'actionne d'un coup sec. Le puissant projectile se réveille dans un grondement prêt à tout pulvériser, mais au dernier instant, il baisse légèrement sa visée. Deux hommes sont morts en bas et c'est bien trop cher payé. Les autres sentiront son souffle de très près, la mort va juste les caresser mais ils survivront.

Le calme est revenu. Tout le monde s'est replié. Hassen est resté là, à attendre la nuit tombée pour descendre secrètement sur la plaine, afin d'aller voir le corps du Français qu'ils n'ont pas eu le choix d'abandonner. Il s'approche de lui. Il cherche sous son veston la plaque signalétique que tout soldat porte au combat. "Hariri", voilà le nom de ce martyr qui partage son patronyme avec un homme politique sunnite libanais. Il tourne son corps approximativement en direction de la Mecque, lui nettoie le visage avec ce qu'il a sous la main et lui récite un versé du Coran, à genoux, qu'il affectionne. Son hommage terminé, il hisse le corps inerte sur son dos et le descend dans la vallée pour le déposer sur un chemin que les soldats français ont l'habitude d'arpenter.

Avec l'expérience, il a appris à lire entre les lignes et garde toujours l'oreille attentive à ces détails qui sèment le doute. L'embuscade, il a le sentiment qu'elle a été cuisinée par maman depuis la maison. Le conflit est en train de s'enliser et des alliances combattantes se forment en secret, un ennemi puissant est dans la couveuse allaité par nos alliés. Des enfants du pays, morts au champ d'honneur dans un trou lointain avec une cérémonie aux invalides bien médiatisée, peut légitimer aux yeux du peuple français un grossissement des contingents pour vaincre l'ennemi.

Touchés dans l'affectif, le contribuable signe naïvement au bas du papier.

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