R2D2 🤖

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J'ai mal. Chaque parcelle de mon corps me torture. La musique qui m'a tenu compagnie a disparu, elle a fait place à des bruits d'orgasmes féminins et de rugissement bestial. Une odeur aseptisée immonde m'entoure. On ne m'a pas jeté en enfer, je suis de retour sur terre. J'ouvre les yeux difficilement, et discerne une lucarne lumineuse au milieu du brouillard. Je me concentre sur l'écran encore un peu flou et ne peux le croire. J'avais la vue sur un monde à l'amour véritable, pour me retrouver devant un vulgaire film de cul. C'est une reprise grossière de La guerre des étoiles. Chewbacca défonce Leïa par le côté obscur avec force, pendant que Han s'astique le manche en Solo à vitesse lumière. 

Si le couple a la chance de pouvoir s'ébattre, l'ensemble de mon corps ne peut bouger. Je ne suis qu'un ensemble de bandages, de plâtre et d'attelles, une poupée de chiffon à l'armature de bois, Geppetto a bien bossé. Je tourne légèrement la tête pour percevoir mon environnement. Il y a à ma gauche une fenêtre qui ne mène nulle part, à ma droite un homme me fixe du regard. Il a l'air plus mal à l'aise que surpris, ou les deux. Je crois que mon réveil la coupé de son plaisir protocolaire. Il éteint la télé au meilleur moment, l'entrée en scène du phallique R2D2 et de Luke Skywalker pour un final tout dans l'inceste.

– Mon lieutenant !? M'interpelle-t-il en s'approchant avec hésitation.

– Évite de me serrer la main, première classe.

- On n'y croyait plus, on ne savait pas si vous alliez vous réveiller un jour ! me dit-il en bégayant. J'appelle tout de suite le médecin de garde.

– Fais donc ça, branleur...

– Pardon, mon Lieutenant, mais on s'ennuie tellement dans cet hosto ! Il n'y a même pas une infirmière...

– Épargne-moi le rapport, tu n'es pas mon genre. Et la section première classe ?

– Ils vont être tellement contents de savoir que vous allez bien !

– La section Aubineau, la section...

– Mon lieutenant, vous savez je... Lieutenant ! Lieutenant vous êtes toujours là ?

...

Je sens une main qui me secoue l'épaule, mais avec mon corps enveloppé entièrement dans un plâtre, je vacille de la tête au pied. J'ai la tête lourde, une barre au milieu du front comme un lendemain de fête avec un arrière-goût de GHB, mais mon cul va bien, je suis rassuré.

– Lieutenant Deveaux ! C'est le capitaine Burret, vous êtes réveillé ?

– Bonjour, mon capitaine, lui répondis-je avec un accent nauséeux, les yeux mi-clos.

–Autant vous dire lieutenant, que vous avez eu beaucoup de chance. On ne donnait pas cher de votre peau. Mais vous êtes là et c'est tant mieux. Est-ce que vous vous rappelez des événements ? A moins que ma demande soit prématurée !

Je cherche dans le trou noir de mes souvenirs les quelques images qui apparaissent ici et là, un puzzle en vrac. Un homme avec une barbe rouge orangé, le regard de Stéphanie, le souffle d'une explosion et moi... seul, assis sur un banc à l'ombre d'un peuplier.

– Oui.... on n'a été pris dans une embuscade.

– C'est un bon début. J'ai le regret de vous informer que vous avez perdu le caporal Hariri et le soldat de première classe Doué lors de l'opération. Mais à l'égard des événements, cela aurait pu être bien pire. Nous les avons décorés de la Légion d'honneur à titre posthume et nous leurs avons donné le grade supérieur à chacun. Ils ont été enterrés il y a trois semaines. L'un dans le carré musulman de Montreuil et l'autre à Mulhouse, après une cérémonie en leur honneur aux Invalides. La France a été très touchée par cette tragédie.

– Mais je suis dans le coma depuis combien de temps ? Et où est ma section, où sont mes gars !

– Vous êtes ici depuis deux semaines et votre ancienne section est toujours en opération en Afghanistan. On va leur faire passer de vos nouvelles.

– Mon ancienne section ! Qu'est-ce ça veut dire ?

– Vous semblez en bonne santé, mais vous avez subi de grave lésion au bassin, à la hanche et aux poumons... irréversibles. Vous êtes inapte au service lieutenant, vous êtes réformé.

– Réformé ?

– Oui, désolé. Vous allez avoir tous les soins possibles pour vous remettre sur pied. Rééducation, plan de réinsertion et un psychanalyste va vous rendre visite dans les plus brefs délais.

– Je n'ai pas besoin de psy.

– Si ...vous en avez besoin...

Je suis sonné. Perdu dans mes pensées, je divague et parcours des yeux cette pièce sans but précis. Le réveil est difficile et la réalité qui va avec, encore plus. Puis mon regard s'arrête sur un petit lecteur mp3 et des enceintes qui trônent sur le bureau.

– Lieutenant ! Revenez avoir moi, me glisse le capitaine pour me sortir de ma rêverie, tout en suivant mon regard pour trouver la source de mon absence. C'est votre mère qui a laissé ça pour vous. Elle a dit que vous aimiez le piano et que cela vous aideriez à revenir parmi nous.

– « Comptine d'un autre été » de Yann Tiersen.

– Comment le savez-vous ! On l'a arrêté il y a une semaine. Le personnel l'a écouté en boucle depuis votre arrivée et ne la supportait plus.

– Je le sais, c'est tout.

-Bien, je vais vous abandonner. Le lieutenant Colonel Chabrat devrait vous rendre visite sous peu. Il est le responsable de cet hôpital et sera au petit soin pour vous.

"Il m'avait garanti que l'Armée tirerait toutes les conséquences de notre fiasco et améliorerait à l'avenir l'analyse de la topographie. J'aurais dû enregistrer ce connard, ça ne sauvera pas la vie de nos dix soldats morts à Uzbin" quelques années plus tard.

Memento MoriWhere stories live. Discover now