La gifle 👋

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                                                                                                *

Un courant d'air glisse sur mon visage, sa présence fait danser les feuilles du peuplier qui me surplombe. Assis sur ce banc, j'écoute le chant de la végétation qui m'entoure au rythme de l'intensité des bourrasques qui se propagent. Laissant d'habitude mes pensées voyager hors de cette prison qui me sert de foyer, elles sont retenues et emprisonnées en attendant comme moi, l'instant qu'elles ne veulent pas rater : le moment où cette fille va faire son entrée dans mon espace et magnifier la lumière, où le battement de mon cœur va se faire plus pressant, où mes yeux vont suivre son arrivée sans chercher à croiser son regard.

Une lourde porte de bois s'ouvre enfin et l'élément qui donne la vie à un décor apparaît. Elle est pour moi une source de lumière dans cet endroit aux couleurs passées, elle est cette odeur de parfum où tout effluve s'est évaporé.

Elle descend les escaliers et je l'observe furtivement en me répétant à moi même, comme si je voulais influencer ses pensées, l'espérance de la voir venir s'installer à mes côtés, à l'autre extrémité de ce banc où chaque jour je viens me réfugier. Mes prières ont été entendues, j'ai senti sous mon fessier les vieilles lattes de bois légèrement se tordre sous le poids de sa beauté, j'ai senti son empreinte corporelle se propager.

Mais aujourd'hui quelque chose a changé, sa présence s'est rapprochée, je suis épié.

Je tourne mon visage légèrement pour comprendre ce sentiment et trésaille de surprise en croisant l'intensité du bleu de ses pupilles. Pris par une incontrôlable timidité, je regarde ailleurs sans regarder vraiment, avec toujours son visage qui prend l'ensemble de la toile de fond.

– Je ne te plais pas, tu comptes un jour me regarder ?

Loin d'être le genre facile à déstabiliser, je dois avouer qu'elle m'a légèrement désarçonné par le côté direct de sa question.

Je me retourne et la regarde avec un effet de surprise, jouant l'homme qui ne l'avait pas remarqué. Elle est assise au milieu du banc une jambe pliée, son buste tourné dans ma direction.

– Les autres m'ont dit que tu t'appelais Maximilien, c'est bien ça ?

J'entends des tapotements sur la planche de bois dans mon dos, ce sont ses doigts qui m'interpellent. Si une distance encore nous sépare, son bras l'a comblée en s'allongeant sur l'arête du dossier de ce banc qui nous unit, ce lieu commun qui aura scellé nos vies. Elle se mordille la lèvre inférieure de couleur carmin, sa tête repose sur son épaule dénudée et me laisse à loisir la contemplation du creux de son cou. Je ne désire qu'une seule chose, de pouvoir m'y plonger.

– Mes amis m'appellent Max, lui répond dis-je, troublé.

– Les miens m'appellent...

– Lilas..., tu t'appelles Lilas, lui dis-je en lui coupant la parole, le sourire gêné...


*

– Salut Max, comme d'habitude ?

J'aime à regarder cette femme au style rococo aux effluves envahissants de patchouli. Dans ce lieu où la beauté fait consommer, où les hommes se pressent pour partager un moment avec les déesses des lieux, moi, je me contente de cette femme d'un âge avancé, très avancé même. Les cheveux rouges aux reflets d'argent surmontés d'un chignon proéminent, le rouge à lèvres débordant de la commissure pour cacher les stigmates de la vieillesse, le décolleté plongeant dans les abîmes du passé. Je ne suis pas là comme les autres pour être écouté, je suis là pour cette femme qui a toujours une histoire passionnante à me raconter. Entre deux récits, elle jette son regard baignant de far à paupières et d'une marée de ricil noir profond dans le vague. Elle me ressasse encore et toujours ce qu'elle fut dans le passé et me redemande comme un vieux disque rayé, si j'ai déjà vu une photo d'elle dans sa jeunesse. Et comme toujours, je finis avec ce vestige entre les doigts qu'elle me sort précieusement de son corset comme une relique, un trésor à jamais disparu. Derrière les ravages du temps que je côtoie un instant, se cache encore cette fleur avec ces couleurs et ces senteurs que j'imagine, j'imagine que c'est la beauté de la photo qui est en train de me parler.

Memento MoriWhere stories live. Discover now