Ange Gardien 🧚🏼

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Quelque part en Guyane française...je ne sais plus quand...

Seul avec mon arbre qui me soutient, je regarde comme hypnotisé le fleuve « OYAPOCK » qui s'écoule à mes pieds, un tentacule puissant que rien ne peut arrêter. Avec son eau de couleur marron clair gorgée de sédiments, il me fait penser à ce chocolat au lait que je découvrais chaque matin dans la cuisine en me levant. Si je pense au premier plaisir de la journée de cet enfant que j'ai été, c'est surtout dans ce foyer qu'à cet instant je voudrais m'y réfugier. J'aimerais pouvoir disparaitre et quitter cet enfer, heureusement que mon esprit me permet encore de le faire.
Quand je vois flotter un arbre ou une branche charriée par les eaux, mon cerveau fatigué sort de sa léthargie. Il se remet à fonctionner pour m'annoncer un probable danger, mais fait aussi resurgir tel un mascaret qui remonte la rivière, toutes mes envies les plus élémentaires : Un lit, un bain, et ce putain de chocolat au lait. Je voudrais m'assoir au sol pour un moment de répit, mais les insectes et surtout les fourmis dont j'ai déjà eu le temps d'apprécier, m'en dissuadent. Enlever mes Rangers pour mettre mes pieds meurtris dans l'eau ! Un bien bel appât pour les Caïmans et les piranhas qui pullulent dans ce fleuve qui me sépare du Brésil juste en face. Là où je suis, il n'y a pas de Carioca, de carnaval ou la plage de Copacabana.
Au travers des âges, l'homme a laissé libre cours à son imagination pour avoir une idée de ce qu'il y aurait après. J'ai vu dans des livres ou des musées ces toiles de Botticelli ou de Jérôme Bosch qui représentent l'enfer. Des amas de corps qui s'enchevêtrent, une dominance de couleur noire et de rouge, parce qu'il ne peut être que dans un volcan ou sous terre. Mais ils ont fait erreur et j'en suis le témoin. Autour de moi il n'y a que du vert, rien que du vert, je suis un intrus dans ce monde hostile, une puce dans la chevelure d'un géant.
Quand on m'a proposé de prendre part à ce stage commando, que je savais être l'un des plus durs au monde, j'ai bien sûr accepté sans discuter. Je m'en veux maintenant d'avoir inscrit les autres sans leur avoir demandé. Mais je sais que comme moi ils auraient signé, où tu vas, je vais. 

J'avais surmonté ma pudeur pour demander à un vieux capitaine son sentiment. Avant qu'il me réponde, j'avais lu dans son regard une vieille souffrance ressurgir et un sourire compatissant à mon égard se dessiner sur ses lèvres.

– Mon Capitaine, le stage en Guyane, vous l'avez fait ?
– L'enfer vert, il est dur.
– Quand on dit l'enfer vert, c'est une image... ou ?!

Il avait mis un petit temps pour trouver les mots. D'habitude, c'est la testostérone qui parle. Mais ce jour-là, les tripes lui avaient coupé la parole.

– J'espère juste que l'enfer n'est pas comme ça lieutenant. Heureusement, cet enfer ne dure que six semaines.

Comme tout le monde, je m'efforce de ne rien laisser paraître. Comme tout le monde, je serre les dents et j'avance. Si au début je laissais couler le temps, je me suis vite mis à compter les jours pour ne pas perdre pied, les heures de la journée, et puis j'ai arrêté en me disant que enfer allait bien finir par se terminer.
Le premier jour, nous nous sommes tous regardés avec défiance. Nous étions des étrangers qui ne faisions pas partie de la même armée, même avec les quelques légionnaires qui avaient décidé d'y participer. Il y a des Britanniques du corps des SAS si fiers de leur empire qui ne peuvent s'empêcher de venir converser avec nous comme « Shakespeare », persuadés que le monde entier parle anglais. Des Israéliens aussi, toujours dans leurs coins et sur la défensives. Tout nous opposent, pourtant nous sommes là dans un bute commun, participer à cette aventure avec ce décor qui n'est que l'outil de notre voyage. Le parcours du combattant se fait à l'intérieur de soi, nous nous battons contre nous même à la recherche de cette limite physique et mentale que l'on va finir par toucher du doigt, le point de rupture. Au départ, il y avait cette barrière de la différence que la peur inconsciente des uns des autres a construite. Mais la promiscuité et la douleur partagées ont fini par la fissurer, puis elle a fini par céder. Les moustiques ne se posent pas la question de savoir si les uns lisent le Talmud, supportent les Red Devils ou le PSG. C'est la première chose que nous avons partagée tout comme cette humidité, constante et perpétuelle, envahissante comme cette putain de forêt. Pendant nos brefs instants de repos que nos tortionnaires nous autorisent, nous pansons nos plaies tout en regardant partir sur ordre du médecin, à la fois envieux et triste, nos compagnons que le corps a trahie.
Les pieds comme les mains meurtris parsemés d'ampoules, des irritations dans chaque plis de notre corps, une torture à chaque frottement du treillis, l'estomac vide de vitalité, même le moral nous a abandonnés.

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