OUTRE TOMBE

3 0 0
                                    


Mel tient son arme à bout de bras, elle est le prolongement d'elle-même. Cachée dans son sac à main ou en bandoulière, elle ne sent plus son poids. Pourtant, la vision qui lui explose au visage la rend soudainement lourde, la vérité écrasante de son point de mire est trop dure à soutenir. Son pistolet Taurus lui glisse des mains et tombe sur le sol. Elle a vu le corps gisant à l'entrée de la place, elle sait que ce n'est pas Max. Elle a croisé son regard qui est apparu derrière son souvenir, l'immense stature qu'elle a toujours sentie auprès d'elle, tout comme l'omniprésence de son ombre. Elle recule de deux pas et aimerait pouvoir fuir, mais quelque chose de fort l'en dissuade. Une attraction puissante, l'amour ambigu d'une fillette envers son père.

Elle vacille au milieu de son monde qui s'effondre et finit par se jeter dans les bras tendus de ce roc, le souvenir de ce pilier qui l'a toujours maintenu debout. Elle se sent protégée, elle profite de cette odeur familière qui lui a tant manqué, celle d'un militaire matinal fraichement rasé. Elle se remémore ces rares instants ou elle a pu profiter de ses bras pour pleurer, parce qu'elle pleure maintenant, comme cette petite fille qu'elle a eu été.

– Vient Mélanie, nous devons partir.

Ils s'engouffrent bras dessus bras dessous dans le sillage de Max qui a disparu, dans la rue d'Agier. Il est parti avec discrétion, il n'a pas voulu s'immiscer au milieu de ces retrouvailles au décor de dramaturgie. Le moment est venu de quitter rapidement la pièce qui vient de ce jouée, par une porte dérobée. Elle reste coller à lui pour compenser le manque d'affection de nombreuses années et marche l'un l'autre comme si ne rien n'était à la sortie de la ruelle. De nombreux badauds sont encore là au pied du chevalier Bayard, conscient du drame qu'il vient d'arriver, les sirènes de la police raisonnent dans tous le quartier.

Ils traversent la place du tribunal comme étranger à ce qu'il vient de ce passé, et disparaissent en se faufilant dans le dédale piétonnier. Ils lèvent leurs regards sur personne, contrairement à certains, surpris par la différence d'âge et de taille de ce couple enlacé. Elle se laisse guider sans trop se poser de question, les réponses le seront bien assez.

Ils échappent à l'effervescence nocturne en pénétrant dans le hall d'entrée de son immeuble. Ils montent les escaliers au son des escarpins haut perchés qui résonnent comme dans la nef d'une cathédrale, et d'un tour de clef se retrouvent dans cet appartement à la décoration rudimentaire. Elle se libère de son étreinte et disparait dans la cuisine avec la démarche d'un robot à la gestuelle saccadée. Elle sort d'un placard une vieille bouteille de chartreuse VEP, tourne le bouchon récalcitrant par le sucre durci de la liqueur et boit une rasade directement au goulot. Elle sent le liquide bénéfique se glisser dans l'œsophage, elle perçoit même son parcours dans l'enchevêtrement de son intestin. Elle repose avec violence le flacon qui se brise sur le plan de travail, sort son arme et braque son père les yeux noirs de colère.

– Je suis déjà mort une fois Mélanie, me tuer ne te servirez à rien.

Fixe sur le pas de porte, le vieux Général l'a regarde avec un petit aire de défi, réaction de diversion pour dissimuler ce qu'il ressent au fond de lui. Il ne peut plus se cacher, leur chemin de vie a fini par se croiser et ils sont maintenant ensemble, séparés par un pistolet chargé. La stature qui remplirait presque de part et d'autre l'ensemble des montants de la porte de la cuisine va devoir pour la première fois de son existence se justifier. Il a toujours redouté cet instant qu'il savait inévitable, il a peur de cet enfant devenu femme.

– Quand j'ai appris ta disparition, te prendre dans mes bras une dernière fois et la seule chose que j'aurais aimé faire, mais pour cela, il aurait fallu que je puisse avoir le corps de mon père. Mais rassure-toi, j'ai pu embrasser maman sur son lit de mort.... contrairement a toi !

Memento MoriWhere stories live. Discover now