1. Retour à la case départ

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SETHY

Le paysage défile à une vitesse folle à travers la vitre du véhicule. Assis à mes côtés, Hans baille à s'en décrocher la mâchoire en tapotant distraitement ses doigts sur le volant. Cela fait bien quatre heures que nous roulons sans nous arrêter et je ne me suis pas senti la force de faire les derniers kilomètres. Il va me falloir toute ma concentration pour ne pas me laisser ébranler par les souvenirs et je craignais de nous envoyer dans le fossé si c'était moi qui conduisait à ce moment-là.

Inconsciemment, je crispe mes poings entre mes cuisses et ravage l'intérieur de mes joues avec mes dents. Putain, je n'ai aucune envie de revenir ici.

De temps à autre, Hans glisse un regard soucieux vers moi, comme s'il craignait que j'ouvre la portière et saute comme un idiot sur l'autoroute. Il n'a pas à s'en faire, je suis résigné. Anxieux et énervé, mais résigné.

Mon collègue prend une sortie et bifurque sur une petite route caillouteuse qui nous fait tressauter dans l'habitacle. Au bout de quelques kilomètres, l'océan se dévoile enfin dans toute sa splendeur et je ne peux empêcher mon cœur de bondir dans ma poitrine. Elle m'a manqué, cette étendue bleue infinie qui semble m'appeler à grands cris. A l'instar de mes souvenirs qui me martèlent le crâne, les vagues se fracassent dans un bruit tonitruant contre les rochers en contrebas. Le vent souffle désormais si fort que Hans est obligé de resserrer ses mains autour du volant pour éviter de faire des embardées et dire bonjour à la rambarde de sécurité.

D'un regard dur, j'observe les gouttes de pluie s'écraser sur le pare-brise tandis que le ciel se couvre de plus en plus.

Il fait toujours un temps de merde par ici.

Quelques minutes plus tard, les premières maisons apparaissent et mes entrailles se serrent douloureusement. La bile me brûle l'œsophage, mais je m'efforce de déglutir continuellement, refusant de laisser libre cours à mes émotions.

La périphérie a changé. Lorsque j'ai quitté la ville, vingt ans plus tôt, elle n'était pas aussi étendue. Les logements ont grignoté une large partie de l'arrière-pays et les champs de mon enfance ne sont plus qu'un vague souvenir. Lorsque Hans se met à longer les falaises escarpées qui bordent le rivage, je me mords la langue jusqu'au sang pour empêcher ma mémoire de me jouer de mauvais tours.

Je ne veux pas penser à tout cela.

J'ignore encore comment je vais me réhabituer à cet endroit. Quand j'en suis parti, juste après le bac, j'étais persuadé de ne plus jamais y remettre les pieds. Je ne voulais rien avoir affaire avec quoi que ce soit qui puisse me rappeler ces lieux et leurs habitants. Pourtant, lorsque j'ai reçu un coup de fil au poste une semaine plus tôt, toutes mes convictions ont volé en éclat.

Une affaire insolvable, des collègues dépassés, un besoin urgent de renfort. Et nous voici, Hans et moi, à traverser la moitié du pays pour nous échouer ici. Tout ça parce que la victime a eu la fâcheuse idée d'être liée à l'homme que je poursuis depuis près de deux ans. Putain ! Il y a pourtant des milliers de meurtriers sur Terre, mais non, il a fallu qu'on découvre que ce soit lui le frère de la victime. Comment s'opposer dès lors à l'ordre de se rendre sur place afin de récolter plus de détails sur mon homme et en profiter pour résoudre cette affaire morbide ?

Bon Dieu, je jure que quand j'attraperai ce connard, je lui ferai payer de m'avoir obligé à revenir ici !

— Sethy ? On est arrivé.

La voix de Hans me sort de mes pensées et mon regard s'accroche à ses yeux bleus perçants. Mon nez se fronce sous la nouvelle qu'il vient de m'annoncer et je rentre par réflexe la tête entre mes épaules. Le visage de mon collègue arbore une nouvelle fois un air inquiet et il pose sa grande main sur mon épaule.

Raz de marée [En correction]Where stories live. Discover now