46. Adieu

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SETHY


16 juin 2004


Je sors en chancelant de la salle de classe et tente d'esquiver mes camarades surexcités qui ne cessent de commenter l'épreuve que nous venons de passer. Certains d'entre eux me posent des questions, mais je les ignore, sourd à leurs piaillements insupportables. La cohue qu'ils créent dans le couloir me file une affreuse migraine et je déboule dans la cour une main plaquée sur le crâne, les traits tirés par la fatigue et la douleur.

Évitant stratégiquement les groupes qui se sont formés un peu partout, je rase les murs et me dirige vers la sortie du lycée. Ma tête ne cesse de me lancer et l'épuisement raidit mes muscles. Je dois tirer une tronche abominable.

Soudain, alors que je franchis le portail et m'apprête à contourner le stade de foot, une voix moqueuse retentit dans mon dos.

- Alors, le bridé ! Comment va ta mère ?

L'interpellation me foudroie sur place et mon cœur loupe un battement. Puis un deuxième.

Je me tourne lentement vers l'origine de la voix et grince des dents en reconnaissant la mâchoire puissante et les épaules carrées de Karl Bauer. A ses côtés se tiennent ses deux chiens habituels, et Hazel.

Mon regard s'attarde sur ce dernier. Depuis l'altercation avec mon père, trois jours auparavant, je n'ai pas eu le temps d'entrer en contact avec lui. Et à vrai dire, il ne l'a pas fait non plus. Tout à coup, je réalise d'autant plus cruellement qu'en effet, il ne m'a pas appelé. N'est pas venu à l'hôpital. N'a pas pris de mes nouvelles. Ni de celles de ma mère. Pourquoi ?

Ma gorge se noue et le goût amer de la déception se fraie un chemin le long de mon œsophage. Toute la ville est au courant de l'incendie qui a ravagé ma maison ; pourquoi ne s'est-il pas inquiété ?

Alors que je m'apprête à chercher des réponses dans ses yeux, je me rends compte que ces derniers sont rivés sur moi, emplis de haine et de dégoût. Le choc me coupe la respiration et je peine à maintenir un visage impassible en voyant le sien aussi méprisant. Que se passe-t-il exactement ? Pourquoi une telle expression ?

- Ça fait quoi de plus avoir de chez-soi et de se retrouver à la rue ? insiste l'autre imbécile avec un sourire violent. C'est pas cool, hein ? Quoi que vu ton connard de père, vous avez sûrement déjà acheté une nouvelle baraque bien plus grosse que celle qui a cramé !

Mes dents se serrent si fort entre elles qu'un élancement douloureux me traverse la mâchoire. Mes ongles s'enfoncent dans les paumes de mes mains et la colère me remue les entrailles. Je ne dois pas craquer. Le malheur a déjà bien trop frappé ma famille pour que je me permette un autre scandale. Et puis, ces mots ne sont qu'une provocation stupide et immature. Je dois les ignorer. Mais Hazel. Pourquoi Hazel ne réagit pas ?

La tristesse me comprime la poitrine et je fais volte-face pour m'éloigner du groupe. Autant les ignorer. Je n'ai pas la force de me battre de toute façon.

- C'est quand même bien dommage que ta daronne n'ait pas pu sortir à temps, cingle Karl en me suivant. A croire que c'était fait exprès !

Je me fige. Mon cœur chute à mes pieds. Qu'a-t-il dit ?

Mon regard se tourne une nouvelle fois vers lui et je suis horrifié de voir de la cruauté pure dans le sien. Son sourire mauvais tord ses lèvres et il crache son mégot à mes pieds.

Raz de marée [En correction]Where stories live. Discover now