10. Ce fossé entre nous

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HAZEL

L'ambiance est tendue. De nouveau installé sur le fauteuil, je joue distraitement avec les fils qui dépassent de l'accoudoir mais mon esprit est ailleurs. Je me sens terriblement mal.

Lorsque Sethy s'est rendu compte de ce qu'il venait de me dire, ses yeux se sont écarquillés et il s'est reculé d'un coup, comme s'il venait de se brûler. Il est retourné s'asseoir à son bureau, a rouvert son ordi et pianote maintenant sur son clavier comme s'il ne s'était rien passé.

Ce connard se fout de ma gueule ? Comment je suis censé faire comme s'il ne s'était rien passé, moi ? Qu'est-ce qu'il a voulu dire par là ?

 Qu'est-ce que...

 Je veux pas en parler.

Sa voix grave me coupe, rauque, catégorique. De là où je suis, j'aperçois les mèches folles qui se sont échappées de son chignon et qui retombent sur son front. Il a beau faire semblant qu'il maîtrise la situation, je vois ses doigts contractés au-dessus du clavier et la crispation de ses épaules sous son t-shirt. Ça me rend fou qu'il fasse comme si tout allait bien alors qu'il est plus tendu que la corde d'un arc. Qu'est-ce qu'il a voulu dire par « ils sont tous morts » ?

Je déteste ne pas avoir de réponse à mes questions.

Pourtant, je prends mon mal en patience, m'approche de son bureau puis tire une chaise pour m'installer à ses côtés, sans un mot. Je le vois glisser un regard rapide sur moi mais je me contente de serrer les dents pendant quelques secondes. Je suis complètement perdu et je sais pas si j'ai plus envie de le secouer, de l'engueuler ou de m'excuser.

Alors, à la place, j'attrape l'un de ses stylos et le coince entre mes dents.

 Bon, on le fait ce putain d'exposé ?

***

— Comment on dit « noisette » en anglais ?

Sethy me regarde avec agacement et pointe le dictionnaire du doigt.

 Je sais pas, tu sais tourner des pages, non ?

Je lui réponds par mon plus beau doigt d'honneur avant d'attraper son espèce de pavé pour vérifier. Cela fait plus d'une heure que nous détaillons le tableau que la prof nous a demandé de présenter et je n'ai qu'une envie : mourir. Je déteste l'art. J'y comprends rien et j'y suis foutrement insensible. Franchement, qu'est-ce que j'en ai à foutre de la symbolique de la fenêtre ?

 C'est super important, c'est le début du paysage en peinture.

Je redresse la tête en entendant la voix de Sethy et réalise que j'ai posé ma question à voix haute. Je hausse les épaules d'un air désintéressé puis cherche la traduction du mot « noisette ». Lorsque cette dernière apparaît, je blêmis et referme vite le dictionnaire avant de faire semblant de m'intéresser à cette putain de fenêtre.

Le connard finit tout de même par relever la tête de sa feuille et fronce les sourcils en me voyant fixer l'écran de son ordinateur.

 Alors, comment on dit « noisette » ?

 Hum ?

Je fais mine d'être plongé dans mes pensées mais ne suis apparemment pas convaincant puisque Sethy se redresse en croisant les bras sur sa poitrine.

 Comment on dit ?

 On s'en fout, on en a pas besoin.

 Si, il y a une corbeille de noisettes sur la table. Faut bien le dire.

Raz de marée [En correction]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora