19. A notre jeunesse spontanée

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SETHY

2 octobre 2003

Année de terminale


Tim pousse un profond soupir en faisant tourner son stylo entre ses doigts pour la centième fois de l'heure. Face à nous, la prof déblatère son fameux discours sur l'importance de ce cours pour le bac, mais la moitié des élèves ne l'écoute pas.

Il fait beau dehors. Le soleil resplendit et la mer miroite comme un diamant maintes fois poli. Je ne rêve que d'une chose : me précipiter vers cette dernière et plonger mon corps brûlant dans l'eau glaciale. Peut-être que Hazel m'attend déjà...

Soudain impatient, je lance un regard agacé à la prof et referme mon cahier. Je n'ai aucun besoin de ses rappels ni de ses encouragements : le bac, c'est comme si je l'avais déjà dans la poche. Alors elle peut cesser de parler, elle ne m'apprendra rien de plus.

Tandis que sa voix aiguë se transforme en vibration d'arrière-plan, je me concentre sur le cri du goéland qui vient de traverser mon champ de vision. J'ai beau vivre ici depuis mes sept ans, je ne me ferai jamais complètement à ce cri, grinçant, ricanant, à cet oiseau dont la démarche pataude croise la mienne plusieurs fois par jour. J'ai l'impression qu'il se fout de ma gueule, me méprisant de toute sa hauteur de créature volante et libre tandis que ses yeux torves me rappellent à ma condition de simple mortel à qui échappe le but de son existence. Il m'insupporte. Il n'y a que ça ici. Des goélands et des pigeons. Des éclairs de plumes qui strient l'azur du ciel et bousculent les passants dans les rues.

La sonnerie déchire soudainement mes tympans. Aussitôt, le raclement des chaises que l'on pousse sur le sol et des éclats de rire retentissent à travers la classe. La prof s'agite, tente de rétablir le calme, en vain. C'est enfin le weekend.

En deux minutes, je suis dehors et me hâte vers la sortie du lycée. Arrivé au portail, j'entends tout à coup des éclats de voix et remarque un attroupement quelques pas plus loin.

D'abord indifférent, je m'apprête à tracer ma route lorsqu'une tête échevelée et une mèche blonde décolorée apparaissent dans mon champ de vision.

Putain.

Exaspéré, je jure entre mes dents et me dirige vers la ronde de braillards qui gesticulent dans tous les sens. Au milieu, deux mecs se battent : le premier est immense, costaud et possède un visage révulsé par la colère, l'autre est Hazel.

Mon ami a le nez explosé et du sang ruisselle le long de son menton. Pourtant, il ne s'avoue pas vaincu et ne cesse de revenir à la charge, animé par une rage démentielle qui le pousse à frapper inlassablement, quitte à se faire exploser la gueule. S'il y a bien une chose que j'ai comprise depuis que je fréquente Hazel, c'est qu'il est indomptable. La moindre remarque peut le faire sortir de ses gonds et il ne connaît pas la peur. En trois mois, j'ai dû le voir se battre une dizaine de fois et le récupérer autant de fois dans des états pitoyables. Il ne sait pas s'arrêter, il en est incapable.

Alors, je donne des coups de coude pour fendre la foule de curieux et attrape Hazel par le bras. Le regard qu'il me lance derrière son épaule est terrible, ses yeux sont injectés de sang.

Je soupire, blasé, et le tire un peu plus fort vers moi. J'entends son adversaire beugler des insanités et Hazel lui répondre, mais j'ignore les deux et traîne mon ami jusqu'au bout de la rue. Il continue à se débattre et à m'insulter, mais je sais qu'il ne cherche pas réellement à me blesser.

Raz de marée [En correction]Where stories live. Discover now