61. Adieux pluvieux

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SETHY


Il pleut. Pour changer. Le mauvais temps m'aura accompagné pendant près de deux mois. Puisse-t-il faire plus beau dans le Sud.

Assis sur mon petit lit une place de l'hôtel, j'observe Hans boucler sa valise et vérifier qu'il n'a rien oublié. Il est à peine sept heures ; à cause de la perspective du départ, lui comme moi n'avons pas vraiment dormi de la nuit. En réalité, je n'ai pas fermé l'œil. J'ai passé la nuit à serrer Hazel dans mes bras et à me battre contre des pensées intempestives qui s'acharnaient à vouloir me faire remettre ma vie en question. Lorsqu'il s'est enfin endormi, j'ai eu l'impression de tenir contre moi la partie la plus fragile de mon cœur, celle qui conserve toutes mes peurs et tous mes espoirs, celle dont je n'ai pas réussi à prendre soin.

Alors, quand l'heure est venue de me lever, j'ai songé à partir sans rien dire, à m'éclipser dans la nuit comme un fantôme, à l'image de ces sentiments qui ont ressurgi sans prévenir dans nos vies. Je me suis résigné à la dernière minute, incapable d'abandonner ce visage paisible blotti contre mon torse. Hazel n'a rien dit lorsque je l'ai réveillé. Il s'est contenté de me fixer et de rester assis sur le lit, les yeux ternes, les traits tirés. Je me suis douté que lui non plus n'appréciait pas cette situation où aucun comportement ne semblait convenir. Je l'ai embrassé et je suis parti.

Peut-être n'aurais-je pas dû l'embrasser, mais après la nuit passée à ses côtés, je me voyais mal lui serrer la main. Peut-être aurais-je dû ne rien faire du tout.

La réceptionniste semble déçue de nous voir partir ; sûrement est-elle consciente que nous étions ses seuls clients de l'année. Hans la remercie poliment tandis que je me dirige comme un zombie vers la voiture garée en contrebas de l'hôtel. Mon collègue me rejoint quelques minutes plus tard et prend le volant, sans rien dire.

A l'instant où le moteur démarre, mon cœur chute à mes pieds et une vague d'angoisse me submerge. Incapable d'en comprendre la raison, je presse une main contre ma poitrine et appuie ma tête sur la vitre, bien déterminé à laisser le paysage me changer les idées.

Pourtant, nous n'avons que le temps de faire quelques mètres que j'aperçois une petite silhouette se découper dans le rétroviseur. Mon cœur bondit dans ma poitrine et je me redresse d'un coup.

- Arrête-toi, lancé-je à Hans.

Ce dernier s'exécute, perplexe, et je m'élance hors du véhicule. La pluie me gifle le visage pendant que je cours et je songe un instant à quel point cette scène est pitoyable.

Insensible aux éléments, je réceptionne le corps de Hazel dans mes bras et le serre de toutes mes forces. Ce dernier enroule ses bras autour de ma nuque et me presse désespérément contre lui.

- Pars pas...

Son visage recule légèrement pour me faire face et je prends soudainement conscience de la détresse qui déforme ses traits. Ses cheveux sont complètement emmêlés de la nuit que nous avons passée ensemble et il a renfilé ses habits de la veille.

- Je t'en supplie Seth, ne pars pas, gémit-il douloureusement. Je suis désolé... Je suis tellement désolé... Je ne veux pas que tu partes, pas encore, je peux pas... Je peux pas te laisser partir, je suis tellement désolé pour tout ! Je sais que c'est bête, qu'on peut pas revenir à zéro, mais je veux pas te voir partir encore une fois. S'il te plaît, laisse-moi une chance, une seule petite chance... Sethy putain... Je vais crever si je reste une année de plus dans cette foutue ville.

Je resserre mon étreinte autour de son corps tremblant et enfouit une main dans ses cheveux, affreusement ému.

- Haz...

- Non, s'il te plaît, s'il te plaît... Je sais que j'ai merdé, je sais que tu me détestes, mais j'ai besoin de toi, j'ai toujours eu besoin de toi ! Laisse-nous essayer, juste une fois, juste une dernière fois... Je te promets que je te montrerai que j'ai changé ! Je ne te ferai plus jamais de mal... Merde, Seth, je pensais pouvoir gérer le passé mais c'est pas le cas. Je veux réapprendre à te découvrir, je veux être à tes côtés... Je t'en supplie...

Mon cœur se déchire dans ma poitrine et il me faut toute ma volonté pour ne pas m'effondrer à genoux par terre.

- Haz... Haz, calme-toi, calme-toi s'il te plaît, supplié-je en caressant ses cheveux trempés. Je... Je dois partir...

Un gémissement désespéré me répond et Hazel resserre ses bras autour de ma nuque.

- Je dois partir mais je reviendrai, OK ? Je... On... On peut rester en contact. Tiens, regarde.

Je fouille maladroitement dans mes poches pour en sortir mon porte-monnaie duquel j'extirpe l'une de ces cartes sur lesquelles j'avais griffonné mon numéro pour l'enquête. Hazel n'ayant pas de téléphone, il m'est impossible de le joindre, je ne peux donc que lui offrir la possibilité de me contacter.

Fébrile, je détache un de ses bras de mes épaules pour glisser la carte entre ses doigts et l'observe la fixer avec désespoir. Ses grands yeux bleus se relèvent vers moi et j'y vois toute l'émotion qui l'habite. En dépit de la buée qui trouble son regard, il se refuse à pleurer et je lui en suis reconnaissant. Je ne sais pas comment je réagirais s'il s'écroulait devant moi.

- Appelle-moi, soufflé-je en l'attirant à nouveau contre moi, appelle-moi OK ? On va essayer... Je te promets qu'on va essayer. On pourrait faire en sorte que tu descendes nous voir... Tu sais... À Vic et moi. Pour voir comment ça se passe. Je... Je te laisserai pas Hazel, je te promets. Je te promets qu'on va se revoir.

En dépit de ses doigts qui s'agrippent tristement à mon manteau, je le sens hocher la tête contre ma poitrine et cela ne fait qu'accentuer ma tristesse. Ni l'un ni l'autre ne prenons l'initiative de nous décoller et j'ignore combien de temps nous restons enlacés sous la pluie. Je réalise alors à quel point il va me manquer, cet homme que j'étais persuadé détester et que j'ai passé mon séjour à fuir comme la peste. Je réalise à quel point la chaleur de ses bras m'est nécessaire et combien cette urgence de le rendre heureux sommeille toujours en moi.

Je veux essayer. Je veux prendre le risque. Parce qu'au fond, pourquoi pas ? J'ai passé vingt ans à suivre la voie du déni et de la rancœur et cela n'a pas apaisé mon cœur. Peut-être que celle du pardon et de la tendresse le fera.

Finalement, je me détache doucement de lui et me force à ignorer son réflexe de me presser un peu plus contre lui. Nos regards se verrouillent et je vois dans le sien le reflet de tous ces sentiments tumultueux qui doivent agiter le mien. Alors, mes mains encadrent sa mâchoire et je dépose un baiser sur ses lèvres, un baiser douloureux mais plein d'espoir, un baiser de pardon et d'avenir, un baiser qui me bousille les entrailles mais qui réchauffe mon cœur. Et lorsque Hazel me le rend, je me fais la promesse de tout faire pour tenter de nous rendre heureux.

La gorge nouée par l'émotion, je finis par me détacher de lui et tourne les talons pour me diriger vers la voiture. Chaque pas est un couteau enfoncé en pleine poitrine mais je refuse de regarder en arrière. Je ne le supporterais pas.

J'ouvre la portière et m'écroule sur le siège passager, le visage livide et les yeux plein de larmes. Hans ne dit rien et pose une main sur mon épaule, la frottant doucement pour me réconforter. Sûrement a-t-il deviné avant moi ce qui se jouait entre Hazel et moi. Nous aurons cette discussion plus tard, lorsque l'envie de pleurer aura déserté mon corps. Pour l'instant, je veux juste partir.

- Allons-y, murmuré-je d'une voix étranglée.

Hans acquiesce et démarre. La voiture s'élance sur la route glissante et je ne peux m'empêcher de jeter un dernier regard dans le rétroviseur. La petite silhouette de Hazel n'a pas bougé.

Raz de marée [En correction]Where stories live. Discover now