22. Tel père, tel fils

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HAZEL

Essuyant d'un revers de manche la sueur qui perle sur mon front, je me relève péniblement en faisant craquer le bas de mon dos. A croire que j'ai quatre-vingt ans.

Mon regard satisfait parcourt la carène* que je viens de peaufiner tandis que j'époussette mon pantalon couvert de sciure de bois. Je travaille sur ce bateau depuis maintenant trois mois et j'ai hâte d'en voir la fin. C'est la troisième commande que ce grand client passe chez nous et je trépigne toujours d'impatience lorsqu'arrive le moment de lui dévoiler notre travail. Je suis sûr de moi et de l'équipe : ça va lui plaire.

Dehors, le vent secoue les arbres et se fracasse contre les murs de l'atelier. Tout en baillant ostensiblement, je jette un coup d'œil à Max qui termine le décor en bois qu'il a construit autour du réservoir. A son tour, il se redresse avec fierté puis lève un pouce en ma direction.

Je souris. Ce que j'aime par-dessus tout dans ce métier, c'est la solidarité et la bonne entente entre collègues. J'ai vu les joies et les peines de chacun de ces gars, et on a beau ne pas vraiment parler de sujets intimes entre nous, on s'est toujours soutenu à notre façon. Combien de fois je me suis fait tirer dans un bar lorsque j'avais un peu trop tiré la tête dans la journée ? Qui ne m'a pas un jour payé à manger parce que mon visage maladif et ma démarche maladroite prouvaient que je n'avais rien bouffé depuis des heures ? J'aime cette ambiance, ce soutien teinté de pudeur et de franche camaraderie, j'aime travailler aux côtés de ces gars et c'est sûrement une des dernières choses qui m'arrache encore un sourire.

Max me prévient qu'il doit passer un coup de fil à sa copine alors je sors de l'atelier en premier. A peine j'ai posé un pied dehors qu'une rafale de pluie me gifle le visage. Je l'accueille avec bonheur, soulagé d'avoir un peu de fraîcheur après une matinée entière à suer.

Je longe le hangar d'hiver en tentant de décoller la sciure qui s'est collée à mon visage lorsque j'aperçois deux voitures garées à l'entrée du chantier.

Je me fige, à la fois inquiet et curieux. L'une d'entre elles est peut-être celle de Sethy.

Je n'ai pas le temps de me poser davantage de questions qu'un coup sec s'abat sur mon dos, me faisant grogner avec hargne. Alors que je me retourne en fronçant les sourcils, je les lève aussitôt très haut en apercevant un gamin haut comme trois pommes qui m'adresse son sempiternel sourire moqueur.

— Salut grincheux !

Mes yeux roulent dans leurs orbites et je continue ma route, désormais poursuivi par un adolescent collant qui sautille autour de moi.

— T'es content de me voir ? lance ce dernier dans un grand sourire.

— Non.

— T'as une sale gueule ! T'as pas dormi cette nuit ?

— C'est toi qui me fatigues.

— Alors c'est ici que tu travailles ! Tu fais quoi ? Tu me montres ce que tu fais ?

— Mais ferme-la, grommelé-je d'un ton faussement exaspéré. T'es vraiment un sale gosse.

Les yeux noirs de Vic étincellent d'amusement et je m'arrête soudainement, frappé par un détail que je n'avais jamais remarqué.

— Attends mais... T'es une gamine ?

Je n'ai vu Vic que dans l'obscurité de la nuit, lorsqu'il venait me rejoindre sur la jetée pour manger des burgers. Nous avons passé deux soirées ainsi, à parler de tout et de rien – ce satané gamin a le don de m'arracher les mots de la bouche – mais je n'avais alors jamais fait attention à son visage. Vic porte toujours des vêtements amples, a priori masculins, et une capuche sur la tête. Ses cheveux sont courts et son air effronté ; j'ai toujours cru que c'était un garçon. Et il ne m'a jamais démenti.

Raz de marée [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant