6. Skate, rentrée et cheveux colorés

339 45 5
                                    


SETHY


2 Septembre 2001

(23 ans auparavant)

Rentrée des classes de Seconde


— Bon courage pour aujourd'hui khla tauch*. Amuse-toi bien !

Je fronce le nez en entendant ma mère m'adresser son sempiternel surnom et ouvre la portière pour m'extirper hors du véhicule.

Je lui adresse un signe discret de la main en attendant qu'elle disparaisse, puis retrouve mon air blasé. J'ai essayé de faire bonne figure devant elle pour ne pas qu'elle me fasse la morale, mais je ne maintiendrai pas cet air faussement complaisant plus longtemps. La réalité, c'est que ce jour m'emmerde au plus haut point. Je déteste la rentrée des classes. Non pas parce que je déteste les cours, mais parce que je ne supporte pas mes camarades. Aucun. A vrai dire, je ne crois pas supporter beaucoup d'humains tout court.

A quinze ans, je ne possède aucun ami et ne m'en plains pas le moins du monde. Si cela ne tenait qu'à moi, je resterais seul à longueur de journée et éviterais tout contact avec les gens de mon âge. Mais ces derniers semblent en avoir décidé autrement. Depuis toujours – et à mon plus grand désarroi -, les gens semblent se presser autour de moi comme des mouches autour d'un pot de miel. Au début, je ne comprenais pas cette fascination étrange que je semblais exercer sur eux, puis j'ai réalisé qu'elle n'était dictée que par une seule chose : l'envie.

Depuis que je suis gamin, je réussis à peu près tout ce que j'entreprends : que ce soit dans les études ou le sport, il n'y a pas une seule personne capable de rivaliser avec moi. Si je décide que je vais réussir quelque chose, je le fais, et souvent sans trop d'effort. J'ignore si cela est une bénédiction ou une malédiction, mais c'était mon quotidien. Et je ne réalisais pas que celui des autres était bien différent.

J'ai toujours évolué dans la vie avec une profonde indifférence envers les gens. Je ne les aime pas, mais je ne les hais pas non plus. Pour moi, ils ne sont ni plus ni moins que des grains de poussière virevoltant autour de moi et m'agaçant de leur présence. C'est pour cela que j'ai mis du temps à capter quels sentiments la plupart des personnes avait envers moi. Parce que je ne m'y étais jamais intéressé.

C'est ma mère qui, à force de me voir constamment seul et dans ma bulle, m'a forcé à m'ouvrir aux autres et à comprendre leurs émotions. Au début, cela ne m'enchantait pas le moins du monde, puis j'ai fini par voir ça comme un jeu. Un défi. Je me suis mis à observer mon entourage, à analyser les regards que l'on coulait sur moi, à saisir toutes les subtilités des visages qui me faisaient face. Et j'ai rapidement compris qu'ils se divisaient en deux classes : ceux qui m'admiraient et ceux qui me jalousaient. A partir du collège, ceux de la première catégorie se sont mis à graviter autour de moi, essayant de gagner mes faveurs et, qui sait, de profiter de cette aura de réussite que je semblais trimballer partout avec moi.

Jusqu'à la troisième, je n'ai donc jamais été seul et je n'ai jamais autant détesté cela. Le jeu ne m'amusait plus, je ne voulais plus comprendre les autres. Mais c'était trop tard. Je m'étais un tantinet ouvert à eux et ils s'étaient engouffrés comme des sauvages dans la brèche ainsi créée. J'ai beau désormais me montrer le plus froid et le plus antipathique possible, on ne me lâche pas.

Et avec le lycée qui commence aujourd'hui, je sens bien que cette tendance ne va faire que se renforcer.

J'ai toujours su que j'étais différent des gens de mon âge et je me suis parfois demandé pourquoi. C'est vrai quoi, pourquoi je ne suis pas capable de m'intéresser à eux et de partager leurs états d'âme ? Pourquoi  j'évolue au sein d'une muraille que je n'ai même pas décidée de construire mais que personne ne parvient à franchir ? Est-ce si grave de ne souhaiter aucune présence humaine autour de soi ?

Raz de marée [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant