Chapitre 2 - Brooke ⛸️

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— Tu penses sérieusement que descendre dans cette cave est le choix le plus avisé ? demande ma grand-mère au personnage du film d'horreur que nous regardons ensemble, un bol de pop-corn entre nous. Bon sang, mais elle a un poids chiche à la place du cerveau ou quoi ?

Dans mon coin, je me marre silencieusement. Le samedi, c'est soirée film depuis que j'ai débarqué à Oak Ridge, il y a maintenant deux mois. Nous ne ratons aucune séance, et cette fois, nous avons pioché au hasard dans une longue liste de films que j'ai concoctée au début de l'été, pour tomber sur ce navet. Les commentaires de ma grand-mère sont cent fois plus intéressants que ce truc qui défile sous mes yeux depuis plus d'une heure.

Pourquoi ne pas limiter la casse et continuer à souffrir le martyre ? Nous avons un petit côté masochiste que nous aimons entretenir. Nous ne sommes pas mamie et petite-fille pour rien.

Je pioche dans le pop-corn avant qu'un type se fasse buter à l'aide d'une tronçonneuse. Rien d'original, c'est certain. Selon moi, les seuls films d'horreur qui valent le détour, c'est The Conjuring ainsi que ses suites. T'as de quoi avoir la frousse et les personnages ne sont pas complètement teubés.

Là, le niveau de connerie est juste trop flagrant.

Au moins, ça nous permet de rire un bon coup et de critiquer sans aucun état d'âme.

— Tu es d'accord avec moi, pas vrai, Brooke ? On ne peut pas être plus bête ! Et je suis certaine que la production de ce truc a coûté un bras ! s'indigne-t-elle. De mon temps, les films avaient de plus petits budgets, mais ils étaient bien meilleurs. Demain, on regarde un film des frères Marx !

— Si tu veux, ricané-je, amusée par ses sourcils froncés et cet air boudeur qui imprègne son visage ridé.

J'aime bien les films en noir et blanc, aussi étrange que cela puisse paraître. Ils ont un certain charme, je l'avoue.

Bordel, quelle bande de bras-cassés, s'offusque-t-elle en français avant de se lever du canapé.

Les gros mots, elle ne les balance qu'en sa langue maternelle. Elle vit depuis plus de soixante ans aux États-Unis, néanmoins, elle n'a rien perdu de la langue de Molière.

Elle a épousé mon grand-père relativement jeune, lorsqu'elle avait dix-sept ans. Pilote de l'US Air Force, sa base était établie à Châteauroux-Déols, dans la région Centre de la France. Une dizaine d'années plus âgé qu'elle, ils sont tombés amoureux et lorsque les Américains ont dû quitter le territoire français en mars 1967, il l'a épousée et l'a ramenée avec lui en Amérique.

— Bon ! soupire-t-elle en tapant dans ses mains. Ce n'est pas que je ne t'aime pas, jeune fille, mais je pars me coucher. Tu veux bien faire sortir Milo dans le jardin ? Sinon, il va vouloir faire ses besoins à deux heures du matin.

Le petit yorkshire, couché dans son panier, lève instantanément la tête en entendant son nom. Ses oreilles se redressent, à l'affût, il nous regarde de ses petits yeux expressifs et un poil fouineurs.

— Oui, ne t'inquiète pas. Je m'occupe de lui, va te coucher.

— Très bien. Bonne nuit, mon cœur.

— Bonne nuit, mamie.

Elle m'embrasse sur le front, comme toutes les nuits, et monte à l'étage.

— Bon, mon coco, tu viens ? m'adressé-je à la boule de poils.

Il se lève de son panier, remue la queue et me suit à travers le salon afin d'atteindre la porte qui donne au jardin. Contrairement à d'autres maisons, ma grand-mère a décidé de ne pas installer une ouverture pour son chien. D'après elle, il y a trop de ratons laveurs dans le coin et elle refuse de retrouver une de ces bestioles chez elle en train de la cambrioler. Lorsqu'elle m'en a expliqué la raison, je n'ai pas pu éviter d'imaginer un voleur avec la tête d'une de ces bêtes. J'ai failli m'étouffer avec mon bout de pizza.

Oak Ridge Campus #1 King ©Where stories live. Discover now