Chapitre 33 - King 🏒

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— C'est ça, Ash !

Perché sur mes patins, ma crosse dans la main, je glisse sur la glace juste après avoir marqué mon but. En me tournant vers la droite, je remarque un homme qui me ressemble énormément, mais en plus âgé.

D'un air fier, il me sourit tout en tapant dans ses mains. J'en oublie mes camarades et patine vers lui, heureux de le savoir ici. Je ne m'attendais pas du tout à sa venue, après tout, il s'agit d'un homme très occupé et ce n'est qu'un entraînement comme tant d'autres.

— Papa ? m'étonné-je. Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Je n'allais quand même pas rater cet avant-goût de match.

Une fois près de la rambarde, je l'enlace de toutes mes forces. Les autres attendront, je sens que je ne peux pas laisser ce moment me filer entre les doigts. J'ai l'impression de ne pas l'avoir serré dans mes bras depuis une éternité. L'euphorie se déverse dans mes veines, comme lorsqu'on a perdu de vue un être cher et qu'on le retrouve après des années d'absence.

— Tu es tellement occupé depuis que tu es à l'université qu'on ne passe pratiquement plus de temps ensemble.

— Désolé, je vous délaisse maman et toi. J'essayerai de me rattraper cet été, d'accord ?

En mettant fin à notre accolade, nous ne sommes plus à la patinoire. Non, le décor a complètement changé. On se retrouve dans son bureau, celui dont j'ai l'impression de ne plus y avoir remis les pieds depuis des lustres. Il y a même cette fameuse bouteille de Brandy qui titillait ma curiosité lorsque j'étais petit. Je voyais mon père s'en verser un peu dans un verre chaque soir et le siroter tranquillement, pendant qu'il se détendait.

Ce liquide ambre attire mon attention comme dans le temps, et sans savoir pourquoi, je commence à sentir un froid intense me traverser de la tête aux pieds.

— Je t'avais promis qu'un jour on boirait un verre de Brandy ensemble, me sort mon père de mes pensées.

En tournant le visage vers lui, ma gorge se serre, mes muscles se contractent. Sa mâchoire pend, détachée du reste de son visage, maintenue par un mince lambeau de chair, qui menace de se détacher à tout moment. La scène est terrifiante, pourtant, je n'arrive pas à détourner le regard. Lorsqu'il rejette sa tête en arrière, je vois un trou béant sur son palais, et je ne tarde pas à remarquer l'orifice de sortie au-dessus de son crâne.

La nausée me prend, je me retrouve bientôt agenouillé dans un coin du bureau en train de vomir mes tripes tant cette scène est insoutenable. Le silence se fait, mes oreilles bourdonnent et je suis sur le point de tourner de l'œil. J'ai la sensation de ne plus être en mesure de respirer.

C'est alors que je l'entends, le coup de feu. Les yeux brouillés de larmes, je tourne le visage dans la direction de ce son effroyable. Je vois le sang sur les rideaux, les morceaux de cervelle joncher le sol, tout comme le corps de mon père qui se vide de toute son hémoglobine. Je contemple la scène pendant une éternité, je prie pour que ce ne soit qu'un terrible cauchemar.

Je veux aller lui porter secours, crier, hurler, mais je me retrouve pétrifié. Lorsque j'essaye d'avancer, mes jambes pèsent une tonne et tout mouvement semble être au ralenti, comme dans un film où la vitesse de reproduction aurait été altéré. Mon cœur bat à tout rompre, mes yeux ne veulent croire ce qu'ils voient. Ma gorge, nouée, m'empêche de proférer le moindre son, et mon corps tout entier devient d'une lourdeur accablante.

Je me débats pendant je ne sais combien de temps avec mes membres, tétanisés, ankylosés, avant de tomber à genoux, éreinté par tant d'effort. En continu, j'entends ce coup de feu et à chaque fois, je trésaille. Impuissant, mon père meurt sous mes yeux, encore et encore, dans une boucle infernale dont la seule issue possible n'est autre que la mort...

Oak Ridge Campus #1 King ©Where stories live. Discover now