Prologue

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Toute fin marque un commencement. C'est par sa mort que cette histoire commence.

Ce jour-là, jour que l'on nommera par la suite « Fanaison », les Roses se sont fanées. Un royaume de plus tombait sous la coupe de l'empire d'Obsidian. Dans les dix dernières années, cinq royaumes avaient été soumis à son autorité. Des guerres, des pertes innombrables, des famines, des maladies et une crise économique sans précédent s'étaient succédées, impitoyables. Rien ne semblait pouvoir arrêter la soif de pouvoir du conquérant. Le royaume d'Arrosa n'était que le dernier en date.

Qui pouvait savoir quel serait le prochain ?

En réalité, il n'y en aurait pas d'autres. La Fanaison marqua également l'irrévocable condamnation du tyran qui avait entreprit de conquérir le continent.

Grâce à elle.

- Tu croyais vraiment pouvoir t'en tirer ?

Les mots étaient aussi froids et tranchant que la glace en plein blizzard, le regard associé aussi vide que les plus profonds abysses. Il se tenait debout, seul, n'ayant nul besoin de qui que ce soit à ses côtés, malgré son statut. L'aura qu'il dégageait suffisait à insuffler la peur même aux plus courageux, elle réveillait l'instinct de survie, imprimé en chacun de nous. Elle l'avait appris, cet effroi était généré bien malgré lui, conséquence directe de sa bénédiction.

Son armure aussi noire que l'obsidienne était maculée de sang. Il devait avoir quitté le champ de bataille en hâte, aussitôt après avoir appris sa trahison pour se lancer à sa poursuite. Elle n'était pas aller bien loin, à son plus grand regret.

Il ne portait pas de heaume, son visage légèrement bronzé était découvert. Ses cheveux châtain foncé, légèrement bouclés, flottaient au grès du vent, indisciplinés. Elle se fit la réflexion que, bientôt, ils seraient trop long et le gêneraient. Il arborait les peintures de guerre de son peuple de barbares sur son visage. Du noir charbon entourait ses yeux, faisant ressortir leur couleur étincelante et irréelle, remontait sur ses paupières et descendait en trait sur ses joues tel deux larmes.

Allongée sur le sol, s'étant difficilement trainée, elle était si vulnérable. Elle avait l'impression qu'elle l'était beaucoup trop en sa présence. Sa main tenait faiblement son épée. Elle ne semblait pas vouloir la tenir, refusant de la brandir devant cet homme qu'elle avait appris à respecter malgré elle. Sa tête, tournée sur le côté, lui permettait de le regarder.

La blessure à sa jambe était certainement grave. Le fait qu'elle ne sente pas la douleur l'inquiétait. Pire, elle ne sentait plus rien. Après avoir quitté la rivière, elle s'était traînée sur des mètres et des mètres, autant qu'elle l'avait pu avec ce corps brisé. Qu'aurait-elle pu faire d'autre ? Elle ne sentait pas non plus son biceps, brûlé lors de sa fuite du château. Ni son dos, pratiquement dépecé lorsqu'elle était passée sous le fin conduit de verre. C'était à peine si elle arrivait à respirer. Quand ses côtes avaient-elles étaient ainsi meurtries ? Lorsqu'elle s'était battue contre les dizaines de gardes qui l'empêchaient de sortir de la ville ? Ou au cours du trajet jusqu'à la rivière ? Le plus glaçant restait sa colonne vertébrale. Elle avait comme été mise en miettes. Piétinée, lors du passage du cheval sur son corps, après l'avoir renversée, aux abords de la rivière.

Elle était très mal en point, immobile, en territoire ennemi.

A sa merci.

- Qui ne tente... rien

Les mots sortaient difficilement. Elle les soufflait à peine, incertaine qu'ils atteignent leur cible. Sa mâchoire ne lui répondait plus très bien. Toute énergie semblait la quitter. Non ! Elle ne voulait pas rendre les armes, elle voulait vivre !

- ... n'a rien...

Elle essayait de paraître sûre d'elle, sûre de ses choix. Son allure déplorable ne l'aidait vraiment pas. Mais elle avait sa fierté. Il le savait. Elle ne l'implorerait pas. Il ne lui montrerait aucune pitié.

Un peu plus loin, deux bataillons entiers s'affrontaient. Plus de milles hommes s'entretuaient pour une question de fierté mal placée et d'ambition démesurée. L'image même de la bêtise humaine. Mais elle avait réussi à empêcher que cela se reproduise dans le futur. Tout n'avait pas été vain...

Il s'approcha, marchant comme au ralenti. Redoutait-il d'être près d'elle ? Elle ne pouvait plus rien lui faire dans cet état...

Elle voulait vivre, bon sang !

Il s'arrêta à son niveau et s'accroupit. Elle leva les yeux vers son beau visage.

Là, maintenant, rien n'existait plus qu'eux deux.

- Tu m'as trahi, dit-il, sa voix soudain brisée.

Sa silhouette lui apparut floue, un instant. Elle cligna des yeux pour en chasser la buée qui la dérangeait.

Son visage était ravagé, comme elle ne l'avait jamais vu. Ses iris verts, pareil à des émeraudes, étaient passés du vide à la tempête. Ses émotions avaient toujours été fluctuantes. Un instant il se maîtrisait, l'instant suivant ses sentiments débordaient. Cela rendait le conquérant humain. Là où des millions de personnes voyaient un tyran instable, fidèle héritier de son père, elle voyait un prince tentant en vain de rejeter ce qui faisait de lui un homme. Car il était quelqu'un de bien, malgré tout ce qu'il pouvait en dire.

C'était la fin, elle le savait. Sa gorge se noua, la fatalité la terrassant.

Elle l'avait trahi. Malgré tout ce qu'il lui avait donné. Tout ce qu'elle lui avait donné. Elle ne regrettait pas ses choix. Jamais elle n'aurait abandonné sa patrie. Jamais elle n'aurait pardonné ce qu'ils avaient infligé à sa famille. Jamais. C'était sa vengeance. Envers ce peuple. Envers l'empereur.

Si seulement il n'en faisait pas parti.

Elle aurait aimé être dans son camp. A ses côtés. Oui, être à ses côtés aurait certainement été merveilleux...

La vie en avait décidé autrement.

- Mais le pire, reprit-il, un rire triste lui échappant, c'est que je t'ai laissé faire.

Quand il avait découvert une partie de ses plans et son implication avec Arrosa, il n'avait même pas paru étonné. Cela l'avait mise hors d'elle. Arrosa ne représentait-il rien pour ces barbares ? Ne le voyait-il que comme un pays de plus à cocher dans leur liste de conquête ?

Elle lui avait craché son histoire à la figure, se servant de lui comme bouc émissaire pour toute la haine qu'elle ressentait pour cet empire orgueilleux et destructeur. Il avait écouté. Il ne s'était pas excusé, il ne s'était pas défendu. Il avait simplement encaissé. Et il avait fini par partir, la laissant en liberté. Par la suite, ils avaient continué leur vie comme si de rien n'était, ce secret flottant entre eux comme une épée de Damoclès, dont le jugement allait enfin être rendu.

- Pourquoi ?

Il ne lui demandait pas pourquoi elle avait fait ça, il connaissait déjà ses raisons. Il voulait savoir pourquoi elle n'avait pas pu envisager l'avenir qu'il lui avait promis. Qu'est-ce qui lui manquait.

Il n'y avait pas de réponses.

- C'était... aussi... pour toi, s'étrangla-t-elle en tentant de tendre la main vers lui.

Seul un spasme traversa son bras, qui refusa de quitter le sol. Il ferma les yeux, comme pour se protéger, refusant d'entendre ces mots et leur implication.

- Dans une autre vie... On aurait pu... être du même côté, murmura-t-il, tristement.

Il rouvrit les yeux pour la regarder, mémorisant ses traits. Il replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

- Repose-toi, Liv, tu t'es bien battue.

Il posa ses lèvres tremblantes sur son front, lui offrant une dernière caresse. Sa lame s'approcha de son cœur. Elle murmura des derniers mots, espérant qu'il comprenne ce qu'elle souhaitait pour lui. Comme une dernière volonté. Pour lui.

- J'aurais aimé... t'apprendre à t'aimer...

La lame s'enfonça. La lumière s'éteignit. Elle rendit son dernier souffle.

C'était la fin.

Combattre les LégendesWhere stories live. Discover now