Chapitre 17

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La Sirène libéra ses plus belles notes, sa voix emplissant tout l'espace, se mêlant au vent, aux vagues. Les notes s'engouffrèrent avec l'air dans les poumons, transcendant les cœurs et devenant aussi vitale que l'oxygène.

Elle entonna une chanson pleine de mélancolie, d'amour et de tendresse. Elle voulait qu'on l'aime, qu'on la vénère. C'était sa chanson favorite, celle avec laquelle elle avait écrit sa légende.

Une armée de silhouettes vaporeuses, faites de brumes, d'écume et de lumière, tels des arcs-en-ciel en mouvement, s'élevèrent et dansèrent, suivant le rythme que la chef d'orchestre qu'elle était imposait.

L'immobilisation totale qui suivit les premières notes la rendit euphorique, comme droguée. Elle sourit, ravie comme elle ne l'avait pas été depuis des années. Cela faisait beaucoup trop longtemps qu'elle n'avait pas chanté. Qu'elle n'avait pas conquis. Cette petite diversion tombait à pic. Elle se sentait si bien. Elle s'enivrait de ce contrôle et de la soumission de tous ces êtres insignifiants.

Bien sûr, un seul d'entre eux n'était pas sous son influence.

Aussi, alors qu'elle nageait pour s'approcher de la côte, elle chercha son humaine des yeux.

Elle n'eut pas à chercher bien longtemps, s'étant arrêtée non loin de là où son regard était déjà posé.

En vérité, si elle avait pris tant de temps avant d'entamer son Chant c'est parce qu'elle l'avait vu, lui. L'insouciante créature l'avait donc immédiatement rejoint, une fois qu'elle l'avait repéré. Comme c'était prévisible de sa part. Elle était donc toujours attachée à cet homme. Même dans sa seconde vie.

La Sirène venait d'arriver dans la baie, quelques secondes après avoir poussé Arya sur la plage quand elle avait reconnu le prince d'Obsidian en train de lutter contre vents et marée pour rejoindre le rivage, une petite fille sur le dos.

Contrairement à ce que pensait Arya, la Sirène avait toujours été capable de la retrouver quand celle-ci utilisait son Chant.

La deuxième fois que Livie l'avait utilisé, la Sirène en avait été si rouge de colère et son cri si offusqué que les océans tout entier en avaient tremblé.

Sa capacité à se déplacer à toute vitesse dans les eaux lui avait permis de retrouver l'effrontée en un clin d'œil, bien décidée à mettre fin à ses jours et à dévorer la moindre parcelle de son être.

Mais une fois de plus, la jeune femme l'avait étonnée.

C'était alors qu'elle recevait une seconde bénédiction. La Sirène avait hésité à intervenir, brulante de rage, mais la raison l'avait emporté. Elle comprenait. Alors elle n'était pas intervenue. A la place, elle avait assouvi sa curiosité et observé.

Les fois suivantes, et elles n'avaient pas été si nombreuses, se comptant sur les doigts des deux mains, elle n'était pas toujours venue.

Pourtant, cette fois-là, sans qu'elle ne sache bien pourquoi, elle s'était approchée. Elle ne se doutait pas encore que ce serait la dernière fois.

Elle avait observé son humaine, son corps brisé et son cœur en miette, chantait la plus belle mélodie qu'elle n'avait jamais entendue.

C'était une prière, le cri d'un mourant qui refuse de quitter sa vie. L'amour que l'on ressentait pour sa propre existence et la volonté de vivre sans regrets, le plus longtemps possible, entouré de ceux que l'on aime. Elle avait patiemment observé et écouté car c'était la dernière fois.

L'humaine avait trainé sa carcasse brisée jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus faire aucun mouvement. La Sirène avait continué d'observer, ne sachant pas très bien ce qu'elle ressentait alors à la vue de cet être agonisant. Elle avait envisagé de l'entraîner dans les profondeurs de l'océan avec elle mais celle-ci s'était éloignée avant qu'elle ne prenne sa décision. Elle espérait encore pouvoir s'en sortir. L'idiote...

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