Combattre les Légendes

Chapitre 14

Comment pouvait-on être si téméraire ? se demandait Arya. Lorsqu'on était empereur, ne devait-on pas avoir un minimum de considération pour sa propre vie ?

Il n'avait pas changé.

Il persistait à mettre sa vie en jeu, persuadé qu'elle valait moins que celle de n'importe qui d'autre, qu'elle ne valait rien.

Ce n'est parce qu'il ne s'accordait pas d'importance que c'était le cas des personnes qui l'entouraient.

Arya avait bien vu que Justin avait essayé de le retenir. Au lieu de quoi, Neven lui avait remis elle ne savait quoi avant de s'élancer dans les vagues, ignorant totalement son ami qui tentait en vain de le retenir. Justin avait failli le suivre, mais après avoir posé les yeux sur ce que Neven lui avait donné, il avait hurlé de frustration et s'était éloigné pour prêter main forte aux autres soldats qui menaient bataille.

Arya avait elle aussi eu envie de se lancer à sa suite, mais elle n'était pas aussi téméraire que lui.

Un peu moins, en tout cas.

Il ne pouvait pas s'attendre à ce que les gens restent docilement en place à ne rien faire si lui-même s'élançait contre vents et marrées pour donner une pichenette au nez du plus grand des dangers.

Elle allait faire de même.

Ils devaient immobiliser le Kraken pour l'achever. Rien n'était plus efficace que le Regard Pétrifiant de Méduse mais aucune personne à Arrosa ou même dans tout l'empire n'avait la bénédiction de cette légende à sa connaissance. Il y avait alors la solution qu'ils avaient tous espéré qu'elle apporterait : le Chant de la Sirène.

Bien sûr, elle ne l'avait plus. Elle ne pouvait donc pas faire quoi que ce soit pour immobiliser elle-même le Kraken. Mais elle connaissait quelqu'un qui le pouvait.

Cette personne hantait la grotte à flanc de falaise au-delà de la plage, à quelques dizaines de mètres de là où le Kraken semait le chaos.

C'est là qu'elle se précipita en courant.

Arya se souvenait de la première fois qu'elle avait rencontré la Sirène.

Elle n'avait pas eu sa bénédiction tout de suite. Elle était alors Livie et elle était très jeune. Elle devait avoir treize ans à cette époque. Sa famille était au service de la famille royale d'Arrosa depuis des générations et elle avait grandi entourée d'aristocrates et de nobles en tout genre.

Certains enfants pourris gâtés de ces influentes personnes n'avaient pas été tendres avec elle.

Livie avait été la victime de nombre de mauvais coups. Mais elle n'avait jamais été du genre à se laisser faire et, malgré les nombreuses punitions qu'elles recevaient, elle avait toujours rendu au centuple les farces dont elle avait été victime.

Quelqu'un avait versé de la boue dans ses chocolats ? Elle ferait en sorte que le prochain chocolat à franchir les lèvres du coupable serait des excréments de chien.

On lui déchirait ou lui renversait de la nourriture sur ses vêtements ? Une armoire tout entière prendrait accidentellement feu.

Les moqueries et autres attaques verbales ne l'avaient jamais atteinte, aussi n'avait-elle jamais pris la peine d'y répondre.

Les gens avaient pris l'habitude de la qualifier d'enfant hautaine et arrogante. C'était vrai. Elle l'était d'ailleurs encore un peu, ayant gardé quelques restes de cette époque-là.

C'est de cette arrogance et de cette volonté à faire payer ceux qui s'en prenaient à elle que lui était venu la subite envie de rencontrer la Sirène.