Confrontée au mythe

15.6K 1.6K 489
                                    

Ses immenses ailes occupent un tel espace, que son corps a l'air minuscule. Cerné par deux de ses serviteurs, le Prince progresse en tête du cortège aérien. Mais, lorsque le groupe entame une descente, mon avis sur ses proportions corporelles se révise progressivement. Le Prince est tout sauf chétif. Dont, par exemple, prestant. C'est en tout cas ce que démontre la manière dont ses pieds, nus, effleurent tout juste le sol avant d'en épouser les contours abrupts. Il y a pourtant quelques fractions de secondes de cela, son corps se déplaçait à plus de deux cent kilomètres à l'heure.

Le plafond du Palais est haut. Très haut.

Comme lui. L'impression est de suite exacerbée par le positionnement des deux sous-fifres à ses côtés. Le bruit de leur atterrissage ne m'échappe pas. Ils ont beau avoir été discrets, le son de leur apparition paraît corne de brume comparée à la réception silencieuse du souverain. Il n'y a pas de doute : l'expertise et la souplesse dont il fait preuve, valident l'authenticité des rumeurs.

Ils se positionnent face au peuple soumis. Dos à l'intruse.

Cela ne m'empêche pas de supputer à propos de sa taille, avoisinant les deux mètres dix. Son corps athlétique s'étire harmonieusement sur l'ensemble de sa hauteur, au contraire du tas de muscles positionné à sa gauche. Un monstre musculeux, ni plus, ni moins. Au buste carré, aux bras aussi gros que l'une des cuisses du Prince, mais à la taille amoindrie de vingt bons centimètres par rapport à ce-dernier.

-Une Lumineuse, votre Altesse, réplique l'un des Obscurs.

L'anatomie perceptible de son dos, moulée par la veste noire qu'il arbore, se mobilise lorsqu'il croise les bras.

Un pendule hypnotique n'obtiendrait pas de meilleurs résultats sur moi que le corps du Prince Obscur. 

Un éclair de raison zèbre malgré tout le brouillard de mes pensées.

Je ne suis plus Lumineuse.

Un silence s'appesantit. J'en profite pour reprendre mon inspection au niveau de ses jambes, recouvertes d'un pantalon en jean noir. Et, lorsqu'il inspire profondément, le léger mouvement que font ses épaules m'incite à penser que leurs traits ont été imaginés par un artiste incontesté. Un être à la recherche d'un idéal masculin, viril, qui symboliserait l'animalité émoustillante. Ce genre de bestialité canalisée et emprisonnée au sein d'une enveloppe délicieuse.

Piège de taille, car le félin, aussi beau soit-il, mord.

-Tu as parfaitement entendu...soupire Krycléine.

L'insolente me désigne d'un bref signe de tête. La rage qui m'anime me laisse pantoise. 

Comment ne pas se sentir diminuée face à pareil étalage de perfection ? L'apparence de la Princesse pique l'amour-propre. Cependant, quelque chose cloche. Les Obscures l'envient autant qu'elles l'idolâtrent.

Ce qui n'est pas mon cas. Est-ce dû à nos cultures divergentes ? Ou au fait que je ne sois pas une Obscure d'origine ?

Quelle que soit la raison, l'envie de la défigurer me démange furieusement. 

Son sourire narquois devient ma seule obsession. Krycléine présente cette même posture assurée, ce même air des plus irritants. Plus je la fixe, et plus la commissure de ses lèvres se dresse en direction de ses yeux pétillants. Il n'existe plus qu'elle, et moi. Ma cible, et ma rancune. La rage qui tourbillonne en mon for intérieur floute l'environnement dans lequel nous nous affrontons. Elle efface les sons parasites, les souvenirs, les regards inquisiteurs. Seule elle, ses yeux, et cette Tentation difficilement contournables persistent.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant