Complications

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J'ai mal dormi. J'ai mal dormi et, malgré cela, je me retrouve à briser des pierres par dizaines.

Ma pioche éclate un minéral dont le cœur violacé luit à la lueur des geysers proximaux. Il s'agit d'une pierre précieuse nommée ocynthe, d'après les dires de Kycléine. Elle sert autant d'élément décoratif, de bijou, que de monnaie Ici-Bas.

Voilà en quoi consiste mon travail.

J'en explose une nouvelle plus violemment, occupée à ressasser les événements de la veille.

Krycléine le savait. Elle savait qu'il était primordial de placer mes atouts en exergue, les seules qualités susceptibles de plaire à son frère exigeant. Je l'ai compris. Tardivement. Et, à présent, je me retrouve à nouveau cloîtrée dans ce même espace incertain. Dans cette aire transitionnelle guidée par la peur et l'appréhension.

Disposer d'un corps désirable, c'est utile, mais existe-t-il seulement un corps qui ne le soit pas à ses yeux ? Ce qui nous mène au fameux : ai-je réellement obtenu un sursis ?

-Tu as oublié celles-là.

Un amoncellement de roches roule jusqu'à mes orteils. Or, j'ai été chargée d'extraire toute l'ocynthe renfermée à l'intérieur de mon périmètre : zone circulaire qui s'étend sur deux mètres de rayon.

-Fiche-le-camp ! craché-je en propulsant la pioche à terre. Tu...

La suite de ma tirade se meurt dans les rires de la femelle, dont le visage angélique m'apparaît suite à un pivot enragé de la hanche.

-Sinon ? plastronne-t-elle en vidant le fond de son panier métallique.

J'ouvre la bouche mais me ravise. Deux phénomènes anesthésient mes cordes vocales. Premièrement, rien en moi ne l'effraie. Le fait de ne pas parvenir ne serait-ce qu'à la frôler en combat y contribue grandement. Dans un second temps, ces cheveux couplés à cette silhouette voluptueuse coïncident avec les souvenirs salaces qui hantent mon esprit. Les cernes qui soulignent son regard moqueur confirment mon hypothèse.

Blaire était la blonde d'hier soir.

-Amuse-toi bien, me susurre-t-elle à l'oreille avant de rejoindre un groupe de femelles bavardes.

Combien de temps vais-je encore subir cela ?

Je ramasse la pioche, les yeux rivés sur ce rassemblement féminin qui bavasse en toute liberté, alors que Park est supposé veiller au grain. De loin, il me semble reconnaître la chevelure brune de la récente partenaire d'Alicante.

Les mâles, en revanche, s'affairent tous à la tâche. Ils travaillent pour deux, pour trois, pour dix, en échange de clins d'œil et caresses aguicheuses. Ces créatures perfides les manient par le seul biais des puissantes armes que représentent leurs corps.

Dans les airs virevolte une nuée d'Obscurs qui transportent, cassent, construisent et agrandissent. Le Palais Obscur s'assimile à une immense ruche souterraine dans laquelle chacun met plus ou moins la main à la pâte. Ceux qui environnent mon périmètre ne se permettent à aucun moment de relever la tête. Personne n'a donc été témoin de la scène. Du moins, personne ne l'assumerait. Et puis qui m'écouterait ? Moi, l'ex-Lumineuse ?

Je lâche un long soupir puis enfonce la pointe de l'outil afin de m'appuyer sur le sommet du manche.

Cette nuit a de loin été la pire. Pour faire court, j'ai dormi au sol.

L'Obscur à qui j'avais volé le lit a eu la patience d'attendre que je me couche, pour appeler l'un de ses comparses à la rescousse. A deux contre un, j'étais impuissante. Les deux mâles m'ont généreusement roué de coups avant de m'envoyer valser à travers la large allée du dortoir.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant