Cœur de fer

Une mort, une victoire

Lucya m'observe pénétrer dans la zone mortelle. Dans quelques minutes, l'une de nous rendra l'âme. Car je ne déclarerai pas forfait. Plus après mes entraînements acharnés. Je veux devenir quelqu'un. Je veux être respectée et crainte.

Je veux que l'on prononce mon nom pour de bonnes raisons, qu'on l'associe à de nobles exploits. Mais comment atteindre ces objectifs si on l'assimile constamment à la lâcheté, ou à cette fichue étiquette de Lumineuse maniérée qui me colle au train ? Et qu'est-ce qui m'assurera qu'on ne me dilapidera pas à la sortie de l'infirmerie ? Rien.

Et je ne compte pas le vérifier.

Mon adversaire, immobile, suit ma trajectoire de façon visuelle, jusqu'à ce que je m'arrête face à elle, dos aux trônes royaux et face au Chef du Conseil silencieux. Ce-dernier ne trahit aucune émotion décelable, si ce n'est que ses petits yeux s'attardent sur ma personne. Autour de nous, le silence exacerbe les plus petits froissements ou souffles profonds. Nous sommes le clou du spectacle. Et je serai la cerise sur le gâteau.

C'est dans cet état d'esprit que je gonfle mes poumons, ancre mes pieds au sol puis m'applique à la couver d'un regard peu aimable. Les bras étirés le long du corps, je ne peux me résoudre à immobiliser mes doigts frétillants. L'audace qui modèle les traits de Lucya m'enjoint à éclater mes phalanges contre sa face assurée. Lui briser d'abord le nez, puis les dents, puis enfoncer ses globes oculaires dans leurs orbites afin qu'elle évite de me lorgner ainsi. C'est-à-dire, avec amusement. Une grimace haineuse tord mes lèvres contractées.

Soudain, une longue pièce de métal apparaît dans sa main droite. Il s'agit d'une épée, son attribut, dont la lame affûtée renvoie les ondes lumineuses qui éclairent la zone.

Soit je gagne, soit le plat du jour sera une julienne d'Ecclésia.

Je m'efforce d'intérioriser mes doutes, cependant qu'un plan d'attaque germe dans mon esprit. Personne ne connaît l'existence de mes attributs hormis Icanée. Et, Officiellement, d'après les rumeurs qu'a fait circuler la défection de Delta, je ne suis qu'une ratée maintenue en vie grâce à une chance inexplicable. Je dispose donc d'une ligne d'avance non-négligeable. D'autant plus que je doute qu'un Obscur s'y connaisse en armes traditionnelles chinoises. Alors, je choisis d'encore relever le menton et lui adresser un coup d'œil provocateur.

Mais je n'invoque pas mes attributs. Pas encore.

Soudain, le gong retentit et l'imposant bras de Krux se redresse à la verticale. Les cordes vocales des spectateurs s'échauffent.

Le brouhaha ambiant résonne d'une telle force, qu'il m'est impossible de percevoir les dernières vibrations de l'instrument.

Mon adversaire entame une marche latérale, chassé-croisé lent, sans décrocher son regard du mien. Je me mets à mon tour en mouvement. Lentement. L'ouïe à l'affût, la vision focalisée sur elle, je me permets même l'exploitation de mon odorat et des sensations procurés par les flux d'air chauds sur ma peau. Rien ne doit m'échapper.

Sans crier gare, elle effectue un bond en avant. Je recule aussitôt. Après analyse, il s'avère que son geste a été si petit, qu'elle a fait du sur-place.

Des rires traversent la foule.

-Détends-toi, raille-t-elle.

-Je suis parfaitement détendue.

Elle abat son pied droit au sol et, d'instinct, mon corps fuit la menace. Il s'évertue à conserver cette distance protectrice coûte que coûte. Car si elle me touche, si Lucya tranche ou perfore quoi que ce soit chez moi, c'est terminé. Ne nous voilons pas la face, mon expérience combative n'a pas fière allure face à la sienne. S'il faut en plus que je l'affronte blessée, autant me jeter du haut des falaises.