Hypocrisie oblige

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-Comment ?

-Je ne veux plus que vous dormiez au dortoir, articule-t-il.

Alicante ne plaisante pas. Ses yeux durs, où recèle une frustrante part de mystère, ne présentent aucune trace humoristique.

-Mais où passerai-je la nuit ?

-Dans les quartiers royaux, répond-il d'une voix qui suinte l'évidence. Plus précisément à l'intérieur de la chambre qui avoisine la mienne.

Je le dévisage, hébétée. Quelques secondes plus tôt, les mots ont dépassé ma pensée et le manque de respect incroyable qui en a découlé l'a emmuré dans un silence terrifiant. Pourtant, voilà qu'il m'ordonne de dormir plus près de lui...

-Qu'avez-vous derrière la tête ? soufflé-je, les yeux plissés.

Un sourire éphémère cible la commissure de ses lèvres.

-Ce n'est pas derrière ma tête qu'il faut chercher, élude-t-il en se relevant.

Ses nombreuses extensions métallisées crissent contre le sol, lors de son ascension, puis renvoient les audacieuses ondes lumineuses qui osent s'y frotter. Une fois debout, perché du haut de sa grande taille, le Prince me jette un dernier regard impérieux.

-A partir de demain soir, vous dormirez confortablement. Et je vous aurai à l'œil.

Il se retire à grands coups d'ailes, sans me laisser le temps de réagir.

***

Je me laisse choir dans le lit horriblement vide. Mes paupières s'abaissent malgré moi, rattrapées par la fatigue.

Mais où es-tu Icanée ?

La journée suivante, je constate que toute l'ocynthe disséminée à travers mon périmètre a été extraite. Le regard noir de Blaire m'a d'ailleurs assurée qu'elle s'en est chargée personnellement. Je feins donc d'en extraire quelques-unes, le temps d'un bon quart d'heure, avant de m'éclipser dans un lieu désert : le couloir.

Là, je décide d'y effectuer quelques échauffements, pompes et exercices de souplesse, à l'abris des regards méprisants.

Bah j'ai travaillé, m'a un jour avoué Icanée.

Moi aussi, bientôt, je déclarerai cela à un Obscur trop bon.

Je finis par m'adosser, courbaturée, dans l'optique de régénérer une partie de mon stock énergétique. Les entraînements que je m'inflige sont usants. Cassants. Ils me contraignent à surpasser mes limites, à renforcer mon mental et vider mes réserves hydrauliques. En outre, ils ne laissent aucune place au ménagement.

Et par la suite, qui sait ? Peut-être serai-je en capacité de tenir tête à tous ceux qui me calomnient ?

-Tire-toi !

Une voix très grave écartèle le silence. Celle de Krux. L'entrée de son mystérieux bureau en visu, je me focalise sur la porte qui s'écarte à la hâte. Une fois de plus, Kile en ressort équipé d'un amas conséquent de documents, dont il perd une pelletée. Certaines feuilles brûlent au contact de cylindres de feu, d'autres, peut-être plus clémentes, se laissent ballotter par les divers flux aériens engendrés par l'environnement lui-même ou les multiples vols divins.

-Ce qu'ils m'emmerdent ! s'emporte la voix imposante.

Le temps suivant, la porte claque de l'intérieur et des lambris de bois jaillissent de la planche soumise à rude épreuve.

Alors que sa protestation tonitruante visite encore mes conduits auditifs, une idée germe dans mon esprit farfelu. Ce projet est ridicule, absurde, insolite même, mais je me dois de le tenter. Car je ne peux ignorer le caractère versatile d'Alicante. Autant donc m'assurer un semblant de filet de sécurité.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant