La Surveillance Entendue

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Je ne saurai dire combien de temps je demeure ainsi, à genoux, focalisée sur cet objet injuste.

Insouciantes, les âmes persistent à voleter ou à s'agglutiner à l'intérieur de l'espace mystique. Et le filet de Lumière à scintiller. Je ne saurai pas non plus dire au bout de combien d'appellations infructueuses Genesis parvient à modifier mon champ de vision. Accroupi devant moi, il finit par se positionner sous mes yeux.

Le Soigneur me contemple via ce regard imperturbable, celui qu'il sert aux patients mutiques.

-Que se passe-t-il ?

Les prunelles dans le vague, je brandis un doigt en direction de l'injuste vérité puis laisse retomber mon bras. Il se retourne, intrigué, avant de me contempler. Le noir de son tee-shirt me rappelle un trou sans fin, une teinte pour laquelle mon cœur a été contraint de se colorer.

-Je ne comprends pas, Ecclésia...

Il emprisonne mon visage entre ses paumes tièdes. Ses yeux me scrutent avec minutie, prêts à déceler la cause de ma léthargie.

-Tu es en état de choc.

-Nous sommes liés, chuchoté-je, séquestrée dans un cauchemar sans fin. A jamais.

Perplexe, il s'assoit à côté de moi et passe un bras autour de mes épaules. Il s'affaire ensuite à me réconforter de façon plus ou moins Lumineuse. Plus ou moins, puisqu'il se contente de frictionner mon bras.

Son geste me paraît sur l'instant trop rigide, trop distant.

-De quoi parles-tu ?

-Il ne peut pas...c'est inimaginable. Inimaginable, répété-je en boucle, en secouant la tête de plus en plus fort, de plus en plus vite.

-Qui donc ?

Un monstre.

Le silence s'éternise, peut-être dix minutes, peut-être trente...jamais le temps ne sera assez long pour me permettre d'encaisser une telle révélation. Ne sachant comment agir, Genesis raffermit sa prise autour de mes épaules.

Personne ne doit le savoir. Personne, ce serait trop dangereux.

Je suis devenue une arme contre le Prince Obscur.

Ce cas de figure ne s'est naturellement jamais présenté durant ma longue carrière de Déesse de l'Amour. D'habitude, les âmes soumises au lien ne sont pas ennemies. Et elles développent encore moins ce degré d'hostilité envers leur partenaire. Toutefois, aujourd'hui, voilà qu'un Obscur se prête au jeu. Le fils du Roi, qui plus est. J'imagine que les conditions et effets qui accompagnent le phénomène ne s'apparentent pas à celles qui affectent les cœurs de chair. Peut-être ne pouvons-nous donc pas parler d'Amour, mais de fascination mutuelle ? Puisqu'après tout, Alicante n'a pas cessé de me tourner autour, au point d'en frôler l'obsession. Cependant, il m'a fait souffrir. Beaucoup. Il a même tenté de me tuer.

Sans jamais y parvenir.

Mais je doute que si je me plantais devant lui afin de lui servir un discours de type : « Hey, Alicante ! Je te hais, tu me hais, mais tu sais quoi ? On est âmes-sœurs. Oui oui oui, respire un bon coup et range-moi cette épée un peu trop dirigée vers ma tête ! On est quand même liés par ce chacal de destin ! » abaisse la fréquence de ses tentatives de meurtre.

En fait, il me tuerait pour de bon.

Sans compter que sa crédibilité en tant que souverain se verrait piétiner. Le fils du Roi concerné par ces magouilles de Lumineux ? J'entends déjà son propre peuple lui rire au nez, la chair subir les foudres du feu et les hurlements signaler pléthore d'agonies. Aucun Obscur digne de ce nom n'accepterait de se faire gouverner par un tel énergumène. Un soulèvement menacerait la couronne, c'en est certain. Et je ne parle même pas de l'image que son père aurait de lui. Serait-il capable de le tuer ou se contenterait-il de m'effacer ?

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant