Il est temps de sauter le pas

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Genesis s'immobilise. Ses yeux noirs oscillent entre le Prince et moi, impénétrables, jusqu'à ce que les lourdes portes de l'ascenseur se referment derrière lui. Alerté par le bruit, Alicante se désintéresse des vibrations qui parcourent ses bras afin de lorgner l'intrus. Tous deux se dévisagent en silence. L'un impavide, l'autre suffisamment courroucé pour que les contours de sa mâchoire s'exacerbent sous sa peau. L'un bafouant son exil du rez-de-chaussée, l'autre étirant davantage les pompeuses ailes qui s'élèvent à partir de son dos. Cependant, tous deux arborent des vêtements sombres, en accord avec l'Obscurité qui imprègnent aussi bien les environs que le sang qui irriguent leurs cellules.

-Que fais-tu là ?

La voix du Prince, d'apparence calme, déchiquette malgré tout le silence pesant. Ses poings sont désormais si serrés, que les nombreuses veines qui alimentent ses bras se gonflent à vue d'œil.

-Je te retourne la question. Que fais-tu ? réplique-t-il posément.

Depuis l'angle le plus terrestre qui soit, ma faible vision s'efforce de suivre la scène surprenante. Ils se tutoient. Genesis tutoie le Prince. Pourtant, ce-dernier n'a pas l'air de s'en émouvoir, trop occupé à le dénigrer par la force du regard.

Tout à coup, une toux se met à comprimer mon thorax puis contraint mon corps à se recroqueviller sur lui-même. Une fulgurante douleur pulse au niveau de mon cou amoché. L'entaille causée par le choc de ma tête contre le sol, quant à elle, libère quelques millilitres de sang, qui évolueront en centilitres puis en litres si personne n'agit en ma faveur dans les minutes à venir.

-Mon devoir. Veux-tu bien retrouver ta ruche à faibles ?

-Pas sans Ecclésia.

Alicante lâche un rire sardonique. Un rire grave et mesquin, qui crible ma peau d'une multitude de frissons malvenus.

-Mêle-toi de ce qui te regarde, Genesis.

-Tout ce qui la concerne me regarde.

Sitôt dit, un silence de mort s'abat sur l'étage, toutefois entrecoupé par ma toux grandissante.

-Alors c'est toi, son allié principal ? Est-ce lui ? s'enquit-il en se tournant vers moi. Ce raté ?

-Qui d'autre ? se contente de répliquer Genesis, toujours aussi posé, immobile et hermétique à tout type d'émotions handicapantes.

Nouveau silence. Le torse d'Alicante se manifeste si vivement, que ni Genesis, ni moi, ne nourrissons de doute à propos de la rage qui bouillonne en lui.

-Il s'agit d'un lien Lumineux, n'est-ce pas ? Vous êtes liés par des sentiments faibles, crache l'Altesse en nous scrutant tour à tour.

-Pense ce que tu veux, Alicante, mais je ne partirai pas sans elle.

-Tu la soigneras, devine le Prince.

-Elle n'a pas mérité cela, me défend Genesis.

Un sourire carnassier élève la commissure des lèvres d'Alicante, et ce, pendant qu'un raz de marée d'arrogance jaillit par salves de son corps. Puis, un à un, les muscles de ses avant-bras se détendent. A leur tour, ses épaules finissent par s'abaisser, afin de laisser place à l'expression d'une nonchalance angoissante.

-Tu as raison, elle ne mérite pas seulement cela.

Genesis demeure de marbre. Son attitude faiblit néanmoins un tantinet, lorsque le Prince entreprend de le défier visuellement. Cet air assuré déstabilise. En tout cas, bien que je lutte dans l'espoir de ne rien louper, la vanité qui exulte du Prince ne m'échappe pas. Elle n'échapperait d'ailleurs pas à un malvoyant, étant aussi détectable qu'une tâche de sang perdue en pleine neige.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant