Rira bien qui rira le dernier

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-C'est bien ce que je pensais, claironne Krycléine.

Le sang de la vieille humaine se répand sur le trottoir tandis que son agresseur prend la fuite. Je fixe le liquide rougeâtre se déverser du corps ridé, totalement hypnotisée.

Et dire qu'avant, au Palais Lumineux, je passais l'essentiel de mon temps perchée au-dessus de ma fameuse coupe d'eau divine. Cette simple position suffisait à dévoiler les âmes qui y baignaient continuellement. Celles-ci s'illuminaient puis aspiraient l'Amour que je leur livrais de bon cœur. Cela m'insufflait un bien fou. Pas physiquement, c'était bien trop éprouvant ; mais de façon mentale et émotionnelle, mes souffrances corporelles se voyaient noyées par la déferlante de bonheur que ce travail me procurait.

Des actes classés comme odieux m'apparaissaient sous forme de flashs. Alors, je restais des heures durant à l'intérieur de ma modeste maison, assise sur mon tabouret, à propager des salves d'ondes positives teintées de compassion et d'entre-aide.

Je réconciliais les couples, les relations parentales, les amis. Il m'arrivait même de provoquer la rencontre de deux âmes-sœurs. Il s'agissait d'ailleurs de mon passe-temps favoris.

Il était rare que deux âmes-sœurs parvenaient à se croiser. C'est pourquoi j'usais de mes pouvoirs lumineux afin de provoquer la rencontre. Un voyage organisé par une entreprise, une destination vacancière de dernière minute, un train qui se trompe de voie, un mauvais bus de pris...rien ni personne ne pouvait m'empêcher d'arriver à mes fins.

Je pouvais manipuler brièvement l'esprit humain, dans le seul but de le livrer à sa moitié. Evidemment, je me gardais bien de le faire lorsque les sujets en question avaient déjà fondé une famille ou établi une relation avec quelqu'un pour qui ils éprouvaient une certaine affection.

Ces souvenirs me donnent désormais l'envie de vomir.

-Hé ! lâche soudainement Krycléine en tapant du poing sur la table.

Je la dévisage, piquée au vif.

-Va te coucher. Déjà qu'en temps normal tu passes ton temps à geindre, n'essaie pas de t'aventurer au rez-de-chaussée sans énergie en stock.

J'obéis sans me plaindre.

***

-Où est-ce que... ?

Je me retourne avec l'intention de demander à la Princesse où est-ce que je suis censée dormir, lorsque je réalise que l'ascenseur redescend déjà.

Confrontée à la solitude, je pivote de nouveau. Le dortoir est sombre. En tout cas, il concurrence la faible luminosité qui plane au quatrième étage. Car, ici, il n'y a pas de lave.

A ma droite, comme à ma gauche, des rangées de lits superposés s'étendent contre les murs. Et, étrangement, une grosse flamme repose en hauteur sur l'un des supports nocturnes. Celle-ci carbonise silencieusement les draps sur lesquels elle s'embrase. Les yeux plissés, je me surprends à la fixer de façon attractive. Quelque chose en elle m'attire. En me creusant la tête, je réalise d'ailleurs l'avoir déjà croisée lors du combat contre Blaire.

Étrange. Mais si les autres trouvent sa présence normale, j'imagine qu'elle l'est. Normale.

Mes petits pas traduisent ma méfiance, tout autant que mes yeux rivés sur les silhouettes allongées. C'est calme, reposant. Quelques respirations et ronflements prononcés brisent de temps à autre le silence.

L'allée qui s'étire entre les lits est très large. Bien assez pour que mon avancée ne perturbe pas leur sommeil. Du moins, je l'espère.

Je finis par passer devant une grande brèche, à l'intérieur de laquelle un son cristallin ravive d'anciens souvenirs. Cela ne fait aucun doute, il s'agit d'eau qui goutte. D'une petite source, plus précisément, pareille à celle qui coulait dans le fond de mon jardin lumineux. Les « ploc » résonnent en échos réguliers contre le sommet d'imposantes roches que je discerne d'ailleurs très mal. Il m'est cependant aisé, en plissant les yeux, de découvrir une sorte de lac creusé à même le sol. L'étendue d'eau est vide de monde, mais quelques vêtements sombres sèchent au bord.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant