Un cadeau de bienvenue

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Mon stress s'accroît à la vitesse de la lumière. Le mystère, l'inconnu et la dangerosité mortifiante qui planent en grande quantité au sein du Palais Obscur me transissent. Ressenti que je m'escrime à ne pas extérioriser. Surtout devant ce goujat de Krux.

-Un estomac, jusqu'à preuve du contraire ?

Ce-dernier esquisse un sourire vicieux.

-J'espère que tu n'en sortiras qu'amochée. Il serait dommage de nous priver d'un si bon sens de l'humour, persifle-t-il, acerbe.

Mon instinct entame une longue série de mises en alerte, traduite par des salves d'adrénaline.

Survivre, est le seul mot qui me vient à l'esprit. Pareille à une lampe torche éblouissante, capable d'éclairer la pénombre mentale causée par ma terreur. Survivre. En l'espace de quelques jours, ce terme ne s'est jamais autant identifié à moi.

Je remarque à peine la fermeture des portes, tandis que le rire sardonique de Krux se confond aux roulements agaçants des poulies. Impossible d'ignorer le fait que je m'apprête, très certainement, et pour la énième fois, à remettre mon existence en jeu. Mais qu'importe ? Combien de fois ai-je cru mourir, durant ces dernières heures ? Dix fois ? Cent fois ? J'hausse machinalement les épaules en réponse à mes réflexions tues.

A ce stade, je n'en suis plus à une menace de mort près.

La machine s'arrête. Au moment où les portes nous libèrent, une bouffée d'air chaud supplémentaire s'engouffre à l'intérieur de l'habitacle : témoignage d'une agitation virulente. Et, en effet, les battants dévoilent une foule compacte. Tous se dirigent vers les trônes imposants, laissant là, inachevés, l'ensemble de leurs travaux.

Réticente, j'attends que la peur exerce son pouvoir physiologique sur moi, comme elle le faisait lors de mon ancienne vie de Lumineuse. En vain. Pas de larmes salées, pas de coliques honteuses ni de sanglots générateurs de spasmes pathétiques. L'Obscurité semble m'avoir vaccinée contre la faiblesse dégradante et la victimisation. Néanmoins, lorsque mon pied nu se pose sur le sol rocailleux, je ne peux pas m'empêcher de chercher l'entrée du regard. Au loin. La seule, à ma maigre connaissance, mais aussi la plus surveillée.

Autrement dit, il faut oublier, suivre le mouvement, et se désintéresser des regards caustiques qui me filent sans soucis de discrétion.

Krux se faufile à travers la foule comme un poisson dans l'eau. Ce dont, à la manière d'un chat hydrophobe, je suis tout à fait incapable. Il faut dire que, vêtue d'une longue robe blanche qui détonne dans la pénombre, on peut difficilement faire plus voyant. Voire éblouissant. A ce stade, la métaphore du chat paraît bien piètre. Autant s'inspirer d'une goutte d'huile plongée dans une flaque d'eau limpide.

La différence me colle au train.

Je me fraie un passage en tentant de rattraper l'abruti qui me sert de guide, sans grand succès. En fait, j'ai juste le temps de le voir attraper une femelle, l'embrasser avec brutalité puis s'enfoncer dans l'assemblée en liesse. L'impression d'avoir assisté au caprice d'un enfant me saisit. On goûte, on jette par pur désir d'affirmation, mais on en laisse tout de même pour plus tard. La destinataire de cette violente attention fait, à son tour, volte-face. Nullement secouée par l'apparition fugace de Krux, son geste élève deux longues nattes blondes par-dessus ses épaules dénudées. Je fronce les sourcils. Après tout, mes seules références en matière de contacts conjugaux ne sont que Lumineuses ou humaines. Rien qui colle, par conséquent, au tempérament des Obscurs.

Seule pour de bon, je me contente de suivre le mouvement général.

Le flux divin se dirige vers la région qui se situe entre les quatre immenses trônes et la Tour de torture. Emportée par le courant maléfique, je me laisse guider, et finis par y parvenir, moi aussi, malgré les coups de coude et bousculades perdus.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant