Que le destin est joueur...

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Pas le temps de s'interroger. Le seul élément qui parvient à faire tilt dans mon esprit, est le fait que Krux me tutoie, que celui qui emprisonne mes poignets me vouvoie, et que je suis donc en danger de mort. Cela suffit pour me placer en état d'alerte. Gesticulant, à défaut de pouvoir en placer une, je feule malgré la large main plaquée sur mon visage et m'efforce de peser un maximum dans l'étreinte de fer du ravisseur. Celui-ci pousse un soupir. Il finit par sangler mes genoux, m'appuyer contre son torse. Il me guide ainsi jusqu'à la sortie, sans éprouver de difficulté à contrer mon agitation. Les deux gardes censés me surveiller ont disparus.

Au bout de l'allée, le lourd silence qui plane sur le rez-de-chaussée suppose que nous sommes soit en pleine nuit, soit au petit matin.

-Pourquoi ne se soumet-elle jamais à mes ordres ?

-Parce qu'elle emmerde le monde, Votre Altesse.

Krux se décolle de la paroi, bras croisés, les yeux rivés sur le supérieur hiérarchique qui persiste à me museler. Précaution inutile car, à l'instant, mes yeux écarquillés font tellement d'allers retours entre les visages du Chef du Conseil et du Prince, qu'ils m'offrent une vision floutée. Mes lèvres, quant à elles, s'écartent contre la paume calleuse.

-Certainement. Les gardes ?

-Il s'en est chargé.

-Les affaires ?

-Elles vous attendent à l'entrée du Palais. Bonne chasse, ajoute-t-il avec un sourire malicieux avant de poser les yeux sur moi. Je pense que vous pouvez la relâcher, vu la tête qu'elle tire.

Alicante se penche afin de s'en assurer. Ses iris noirs, durs, agressifs, croisent le trouble des miens. L'étreinte s'évanouit, il s'abaisse pour rompre les liens qui ligotent mes genoux. Le temps suivant, une distance diplomatique se creuse entre nous.

-Au fait, lance Krux en me tendant mes attributs, auparavant pris dans certaines chevilles.

Je les révoque derechef.

-Venez, lâche le Prince, sec.

Je lui emboîte le pas, jette un dernier coup d'œil par-dessus mon épaule et tombe sur le sourire narquois de Krux. Abruti de confiance, qui s'en remet à l'origine même d'une torture mise au point la veille. Je le dévisage, élève la paume en guise d'au revoir puis reprends ma marche.

Sauf que le Prince s'est volatilisé.

A l'affût, je plisse les yeux, scanne les alentours et aperçois un pied s'enfoncer dans la grotte. Soulagée, je m'empresse de le rattraper. Ceci, en prenant le soin de scruter chaque recoin susceptible d'abriter un corbeau affamé ou un Roi remonté. Alicante ne me fait pas l'aumône d'un regard quand j'atteins son niveau. Son attitude ne change pas plus lorsque je m'efforce de m'adapter à son allure. Soutenue. Très. Il serait presque nécessaire de trottiner pour ne pas me laisser distancer. Au lieu de quoi, j'halète.

A mon grand étonnement, l'Altesse n'arbore qu'un simple tee-shirt noir, moulant, ainsi qu'un jean dépourvu de fioritures. Ses avant-bras bras sont si contractés qu'ils découvrent ses veines, tout comme les arêtes saillantes de sa mâchoire.

-Où allons-nous ?

Silence.

-Alicante ?

Nous atteignons l'extérieur avant qu'il ne daigne rompre mon monologue. La faible luminosité confirme l'une de mes hypothèses : nous sommes au petit matin. Le soleil se lève et les nuages de poussières qui surplombent la Terre Obscure absorbent ses rares projections. Tandis que je contemple le paysage désertique, mon ouïe tique aux sons de mouvements rapides. En effet, le Prince vérifie le contenu d'un baluchon, puis celui d'un sac à dos, qu'il me lance. Perplexe, je l'ouvre et découvre deux combinaisons identiques à la mienne, des sous-vêtements, des hameçons, en plus d'un carré de savon. Mais ce qui m'attire le plus est un fil, noir, long, dépassant d'un vêtement. Une idée soudaine monopolise ma concentration. Je l'arrache en vitesse, saisis la plume de Genesis, la noue au fil, l'accroche au bout d'un hameçon puis prends garde à ne pas me blesser en insérant la partie crochue de l'objet dans le trou de mon lobe droit. Satisfaite, je libère mes cheveux.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant