Affronts mal placés

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L'oreiller fortement plaqué sur mes oreilles n'atténue pas les bruits obscènes. Les recouvrir à l'aide d'une couverture ne sert pas plus, autant que le sifflotement que je m'escrime à produire entre mes lèvres contractées ou les insultes qui s'enchaînent à l'intérieur de mon crâne. Mon tintamarre personnel ne contrebalance par leurs ardeurs.

Ce qui me mène à la fameuse question : à quoi bon m'allonger sur un lit confortable, sans pouvoir fermer l'œil de la nuit ?

C'est tout comme présenter un morceau de pain frais à un individu affamé, mais sous vitrine. En somme, c'est ignoble. Cruel.

Tout à coup, un nouveau cri, encore plus aigu, plus poussé, manque faire vibrer les murs si peu insonorisés. A bout de nerfs, je finis par me redresser et balancer les deux oreillers au sol, tandis qu'une bouffée de Haine pure me grignote avec avidité. Je réalise alors que des pans de taie déchirés sont restés accrochés à mes doigts.

Je ferme les yeux dans l'espoir de me calmer. Mais mes paupières se mettent à frétiller au même rythme que mes bras et poings contractés.

Enfin ! Pourquoi m'a-t-on fait venir ici pour me laisser entendre cela ?

Alicante n'est-il pas plus ou moins intéressé par moi ? S'il l'était un tant soit peu, je doute qu'il m'aurait laissée subir une telle entente.

A moins que ce ne soit délibéré...Seulement, au service de quel but ? Il m'est impossible, comme tout individu femelle arpentant l'Univers, de contrôler l'aura irrésistible qui s'échappe de ses pores, coule au creux de ses muscles saillants, se dissout dans son sang royal, imbibe son regard pétrolier et contribue à l'élaboration d'un physique purement et simplement envoûtant. Quel est donc le but de la manœuvre ?

Car le mien, en tous les cas, ne se résume pas à l'indigne conquête de sa couche. Ma fierté unie à ma virginité, symbolisant la pureté de mon ancienne fonction, hurlent toutes en chœur le maintien de distances convenables entre lui et moi. Lui qui me provoque. Ouvertement. Audiblement. Et j'ai beau m'être durcie, avoir changé de caractère, en plus de philosophie de vie, cela me choque.

C'est indécent.

Je pose mes pieds à terre. Que cette nuit déplorable soit calculée ou pas, ce boucan est proprement nuisible à mon sommeil.

Je progresse à tâtons, somnolente, puis ouvre la porte d'un geste vigoureux avant de m'immobiliser net.

Krycléine se trouve à quelques pas. Du moins, Krycléine et son amant de l'instant, se trouvent à quelques pas. Ceux-ci, plaqués contre un mur, se frottent, se palpent, hoquettent et gémissent dans ce hall royal auparavant désert. Auparavant, car moi, Ecclésia, écarquille des yeux horrifiés devant la scène.

Sa robe, bande de tissu moulante, ne se présente plus que comme une ceinture inutile. Elle ne soutient ni pantalon trop large ni haut trop long. Une jambe pendue aux hanches de l'Obscur, ses longs cheveux bruns tronquent -bien heureusement- l'image du corps très exposé qui s'anime sous mes yeux énerlués. Et j'ai honte. Honte d'éprouver ce genre de dégoût, en étant ce que je suis. Car un Obscur se prélasse dans luxure.

-Dites-moi que je rêve ! s'insurge-t-elle.

Le feulement de la Princesse chasse mes pensées. Elle se décolle du mâle entreprenant, dont le torse nu et haletant rejette quantité d'air ahurissante. Leurs souffles saccadés, emmêlés, remplissent le silence embarrassant, tandis que leurs visages frustrés me scrutent. Sur le coup, je ne trouve rien de plus sensé à faire que de leur rendre la pareille.

Le rouge à lèvre de Krycléine s'est estompé et il ne me faut pas plus de temps pour remarquer que la bouche de son partenaire, ainsi qu'une partie de son menton, en sont couverts. Quelques marques dévalent le cou apparent de la Princesse, similaire à celles qui tachent la peau du mâle aux yeux fous. Il est transcendé. Possédé, même, par les griffes irrésistibles de la Princesse aux lèvres pleines, à la silhouette si attrayante et aux jambes si longues et fuselés que ses adorateurs ne savent où poser les yeux. Son arsenal déstabilise. C'est sûrement pour cette raison qu'il détourne le regard pour le reposer sur elle, puis reprendre son toucher ravageur, qui laisse de profondes lacérations dans la peau humide de Krycléine.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant