Un allié indispensable

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Un siècle, pour un dieu, c'est l'équivalent d'une année d'un point de vue humain. Pourtant, la simple semaine qui vient de s'écouler m'a paru s'éterniser. J'hésite à mettre cette pénible extension du temps sur le compte d'Alicante -que j'ai d'ailleurs pris le soin d'éviter, soit en me positionnant dans un angle mort, soit en m'accroupissant, soit en me cachant derrière des Obscurs au fort gabarit. Ou à accuser l'inquiétante attitude d'Alicante -que j'ai encore et toujours évité.

Quelque chose me dit que le Prince en est la principale raison. Mon petit doigt, sans doute.

Je ne saurai dire si sa froideur m'a mené à cette délicate conclusion, ou sa posture plus rigide, plus droite, associée à un regard plus acéré. D'ailleurs, chaque fois que j'avais le malheur de le fixer trop longtemps, il parvenait une fois sur trois à me harponner. Ces instants éprouvants véhiculaient toute la Haine, l'Amertume, le désir de Vengeance ainsi que la Colère que je lui inspirais. En clair, il me donnait l'impression de vouloir m'étrangler avec des fils de barbelés rouillés, tout en m'écartelant sur du matériel badigeonné d'acide. Ceci, pendant que des bourreaux sadiques m'arracheraient de petits bouts de peau à la pincette et s'amuseraient, par intermittence, à verser de l'eau bouillante sur mon visage.

Puis lorsque, malgré tous mes efforts pour le fuir, le Prince se retrouvait sur ma trajectoire, je pouvais être certaine de recevoir un coup d'épaule suffisamment puissant pour altérer mon équilibre et provoquer ma chute. Mes voisins avaient la bonne idée de s'écarter au moment où mes mains tentaient de s'agripper.

Par ailleurs, les visites nocturnes ne désemplissaient pas ; si bien que je passais mes nuits dans le lit que je partage désormais avec Icanée et son grand frère.

Je ne cacherai cependant pas le fait que cette alternative m'avait gênée, au début, du fait que Genesis occupe le même lit que le mien :

« -Ecclésia, je ne vais pas vous sauter dessus...m'avait-il assuré.

-Pourquoi tu lui sauterais pas dessus ? s'enquit Icanée.

Affalée sur le Soigneur, dans la chambre de ce-dernier, la fillette consacra son attention à l'échange. De mon côté, je mettais un point d'honneur à ce que ce genre d'inconvénient soit clarifié. C'est pourquoi je déambulais au pied du matelas, les mains croisées dans le dos, sous leurs regards scrutateurs. Genesis s'était positionné de façon à ce qu'Icanée se repose confortablement contre lui. Il s'inquiétait beaucoup au sujet de son état de fatigue.

Inquiétude que je partageais.

-Parce qu'elle n'aime pas cela, éluda-t-il en tapotant le bout de son nez.

L'enfant le fronça, tout sourire.

-Vous êtes un mâle ! me renfrogné-je.

-Vous avez l'œil, me congratula-t-il d'un ton moqueur.

Je me stoppai net.

-Ne vous payez pas ma tête ! Votre truc là, entre...enfin, vous voyez ! Cela ne fait jamais bon ménage dans un lit, en compagnie d'une femelle !

Chez les Obscurs, en tout cas, je n'ai jamais eu vent d'une cohabitation pacifique entre deux individus de sexe opposé dans un même lit.

J'accompagnai mon accès de folie d'un vague geste de la main.

-Non, je ne vois pas, railla-t-il.

-Vous me comprenez parfaitement ! m'énervai-je.

-Développez donc. Vous en étiez à « ce truc-là entre ». Entre quoi, Ecclésia ? demanda-t-il d'une voix naïve en haussant un sourcil.

-Entre quoi ? répéta Icanée, hilare, sans rien comprendre au dialogue.

-Votre petite sœur vous écoute !

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant