Un combat révélateur

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Le redoutable son du gong se propage. Intrusif, il assourdit mon ouïe sensible puis percute mon squelette jusqu'alors camouflé. Mais même s'il parvient à activer mes précieux instincts de survie, cela ne l'empêche pas d'alimenter une certaine dose d'excitation en moi. L'adrénaline, sans doute. Ou alors, ce soudain engouement motivé la violence, les jets sanglants, bris osseux et cris d'agonie interminables propre à ma nouvelle et délicate nature.

Aussitôt les dernières notes évanouies, les acclamations dirigées à l'attention de mon adversaire prennent en volume. J'ai la désagréable impression que le brouhaha ambiant se centralise à proximité de mes oreilles. Evidemment, l'intéressée choisit ce moment précis pour dévoiler deux rangées de dents parfaites, mises en valeurs par le rouge écarlate qui orne ses lèvres gonflées. De mon côté, je préfère miser sur le regard. S'il est effectivement le reflet de l'âme, j'ose espérer que l'ampleur de mon ire y est décryptable.

Nous nous stabilisons d'un commun accord, à présent immobiles et silencieuses. Ses mains -véritables armes mortelles- deviennent les seuls points de vue que je m'autorise à fixer. Pour le moment, rien de létal ne s'échappe de son corps, au contraire des pensées mortelles qui orientent mon esprit d'Obscure. Concentrée, je risque un bref regard sur son visage, le rapatrie sur ses mains, avant de le reposer plus longuement sur sa face joviale. Blaire affiche un énorme sourire, si important qu'il plisse en deux demi-lune noires ses orbes oculaires rieuses.

Elle s'amuse.

A tel point qu'elle ne fait pas même l'effort d'adopter une position défensive, un air soucieux ou ne serait-ce que circonspect à mon égard. Sa désinvolture en dit en effet long sur la vaste plaisanterie que je représente à ses yeux. Le bambin anarchique, ou la vieille humaine brandissant sa canne tordue par bon nombre de chutes redoutables, les deux personnages semblent me convenir. Et cela a clairement la manie de me refroidir. Éberluée, je me redresse afin de la dévisager avec minutie. Oui, c'est bien cela. On aurait dit qu'elle se prépare à jouer une belote avec un nourrisson. Mon ego se dégonfle, comme un ballon de baudruche.

Que faire ? Contre-attaquer puis profiter de son élan afin de la déséquilibrer ? Mais ensuite ? Par quels moyens la tuer ? Ai-je assez de force pour fracasser son crâne à terre ? Pour la stranguler ? Lui percer la carotide ? Attaquer la première me semble compromis, étant donné que je ne maîtrise aucune sorte de technique de combat, hormis le légendaire coup de genou porté aux parties sensibles. Sauf qu'il ne s'agit pas d'un mâle...

Suis-je donc condamnée à esquiver ?

Des questions, des questions, des questions et encore des questions. Des interrogations, c'est bien ; mais suivies de réponses, c'est encore mieux. Seulement, ma jugeote s'acharne à se prélasser dans l'improductivité, malgré l'analyse scrupuleuse portée sur l'ensemble de son corps à la plastique indiscutable. Pas une plaie, une fracture ou que sais-je d'assez satisfaisant pour espérer prendre le dessus sur elle. En somme, pas de point faible.

-As-tu peur ?

Je visse mon regard au sien, surprise, avant de me composer un visage neutre.

-Jamais.

Spontané. Incisif. Puisé au fin fond de mes tripes, le ton qui teinte ma propre voix en vient à me déstabiliser. Il est hors de question que je la craigne. Le Prince, oui, évidemment ; pourquoi pas Krycléine, ou Krux, mais sûrement pas une Obscure lambda.

Ma réponse provoque une effusion de rires gras, qui gonfle un peu plus ma colère jusque-là placée en second plan. Sagement rangée derrière l'appréhension.

Elle arque un sourcil dessiné.

-Vraiment ?

-Vraiment, je crache, nullement amusée.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant