"Obscur" synonyme d'attitude anormale ? (réécrit)

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Je casse des pierres de bon matin. L'ocynthe extraite forme un tas de plus en plus conséquent au fur et à mesure que ma pioche brise. Tout le monde met la main à la pâte -y compris les bavardes- parce qu'aujourd'hui, Alicante rôde.

Lui aussi se comporte de manière étrange. Hormis la sévérité particulière qui marque ses traits, son port de tête plus haut que d'habitude, ses ailes étirées jusqu'aux plus petites plumes, et son regard méfiant, il semble chercher quelque chose ou quelqu'un. En tout cas, le moindre de ses pas lents contribue à me stresser.

Lorsqu'il vole au-dessus de la falaise pour rejoindre l'autre rive, celle sur laquelle je travaille, des murmures retentissent dans mon dos. Blaire et son acolyte brun le fixent, munie d'un sourire sensuel qui ne les quitte pas une seule seconde. Mais là encore, le Prince Obscur se comporte de manière suspecte. Il les ignore. Il voit sans regarder.

De mon côté, je m'applique à m'activer avec efficacité, tout comme ceux qui croisent la route mutique du souverain. La besogne avance plus rapidement qu'à l'accoutumée.

Ses pieds sillonnent les périmètres sans s'attarder. La plupart effectue une légère révérence, quand d'autres feignent d'être si impliqués dans leur travail qu'ils ne remarquent pas la présence du Prince.

Seulement, ce matin, les pieds noirs de suie d'Alicante s'immobilisent devant moi. La curiosité et l'effroi ravagent aussitôt mes pensées. Davantage lorsque je réalise qu'il ne s'éloignera pas tant que je ne lui porterai pas d'attention.

-Ecclésia ?

Je lève la tête, la gorge nouée. On ne sait jamais à quoi s'attendre avec lui.

-Votre Altesse ?

-Les Lumineux avaient-ils l'air...agités avant que vous ne soyez condamnée ?

-Non. Non, je ne crois pas.

Il hoche la tête avec lenteur, perdu dans ses pensées, puis poursuit sa ronde étrange.

Tout cela ne me dit rien qui vaille...

Un quart d'heure s'écoule durant lequel le travail effectué par l'ensemble des Obscurs équivaut à deux jours de labeur.

J'essuie la sueur qui baigne mon front à l'aide d'un bref geste du bras. Des soupirs exténués parviennent à mes oreilles, en simultané avec des sonorités vocales lointaines. Celles-ci déchirent le silence industriel, perçant le brouhaha de choc métalliques, pierres brisées et geysers puissants.

Je lève les yeux en direction de la provenance des voix empreintes d'agressivité. Deux Obscurs qui ne sont –à mes yeux- que des silhouettes abstraites, esquissent de grands gestes l'un en face de l'autre. La tension est montée d'un cran.

De là où je me trouve, seuls le comportement et le positionnement des mâles me renseignent sur leur degré de colère. Quand, soudain, le plus grand des deux s'enflamme. Au sens propre du terme. Sa tête s'enrobe de grandes flammes composées par un stupéfiant camaïeu de rouge piqueté de jaune et de soupçons orangés. L'impressionnante onde de Haine qui suit sa combustion me coupe autant le souffle qu'elle m'enivre.

Je laisse tomber ma pioche.

Le dieu ne s'effondre pas en un amas organique. Bien au contraire, la Haine ambiante se renforce et son adversaire se met à reculer.

Hypnotisée, je laisse à mes jambes le soin de me guider vers le lieu de conflit. La brume machiavélique qui assourdit ma conscience me confère une étrange sensation d'envol. C'est bon. Exaltant. Déroutant. Et, à mesure que je me rapproche, les détails de la flamme au corps humanoïde m'apparaissent. Deux points jaunes fluorescents ont remplacé ses orbes oculaires noirs, sa bouche s'est muée en une fente similaire, tandis que ses contours dentelés de rouge incandescent semblent remplacer sa précédente chevelure.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant