La fabrique à monstre

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PDV ALICANTE

Il y a fort longtemps...

(Vu que la version précédente a déjà heurté la sensibilité de certain(e)s, je vous préviens qu'elle ne sera pas toute rose...Bonne lecture X)).

Dans le noir, moi, je trouve que tout est beau. Le petit lit sans matelas est beau ; les murs troués par les poings de Père sont beaux ; l'armoire cassée par mon corps cabossé est belle ; les clous et les barres de fer qui craquent mes os sont beaux ; le sol dur est beau. Même moi, je suis beau. Parce que, dans le noir, tout est pareil. Et si tout est pareil, alors soit tout est beau...soit tout est pas beau.

Je choisis que tout est beau. Comme ça, je suis un peu moins monstrueux.

J'acquiesce, mais Gipsi ne fait pas pareil. De toute façon, elle n'en a toujours fait qu'à sa tête ! Je plisse un œil devant le gros bonhomme de sang séché, à la robe triangulaire, aux deux cheveux rouges et au sourire bancal. Elle a des petits yeux, Gipsi. Comme ça, elle me voit moins. Elle ne pourra pas dire que je suis un monstre, elle aussi.

Je tends ma main sous le lit.

-J'ai faim...

Quelque part, là-dessous, se trouvent les restes de mon repas. En fait, c'est ma cachette secrète depuis que je soupçonne Gipsi de m'en chiper.

Je déplie mes doigts tout raides, mais le morceau de pain est trop loin. Oh non, je l'ai envoyé dans le fond... Soudain, une grosse colère apparaît dans mon torse, et mon visage devient très chaud.

-Ta faute ! m'écrié-je.

Je la gifle d'une main. Avec mon œil pas crevé, je vois que son crâne s'étale.

Je me sens seul.

Je tapote la blessure de mon bras, encore mouillé, et reforme sa grosse tête toute ronde, ses petits yeux de fouine, ses deux cheveux et sa bouche de travers. Elle fait toujours la tête, je sais pas pourquoi. Je crois qu'elle n'a jamais appris à sourire, la Gipsi. Peut-être qu'elle a des soucis ?

Maintenant je me sens moins seul, mais j'ai toujours faim.

Je passe mes doigts entre ma laisse et mon cou, tire sur la petite chaîne, mais le morceau est toujours trop loin. Pendant ce temps, mon ventre gronde fort. On aurait dit qu'une énorme bête habitait dedans. Souvent, elle cogne, elle griffe, elle hurle ! Oh elle dort très peu, la bête en colère.

Tu sais ce que ça fait, de ne pas avoir faim ? me demande la voix dans ma tête.

Je me suis toujours demandé si c'était la voix de Gipsi. Mais vu qu'elle ressemble à celle d'un petit mâle, je me dis que non.

-Non.

Le son qui sort de ma bouche est bizarre. On ne comprend pas beaucoup quand je parle, mais moi, je sais ce que je dis. A force de hurler, je crois que ma voix s'est cassée.

-J'ai faim, Lavoix...

Je sais, Alicante, je sais, me répond-elle.

La bête me donne un violent coup de griffe, qui me force à me tortiller sur le sol déchiré. Les bouts de roches sales me rentrent dans la peau. Un trou, deux trous, trois en plus, reliés par un trait de sang mélangé au liquide noir qui recouvre le sol.

Malgré tout, je compresse très fort mes lèvres, pour ne pas faire de bruit.

Ne déçois pas Père, Alicante. Il ne faut pas le déranger.

Mon cœur bat fort. Il s'affole, mon cœur d'incapable. Je le sens chaque fois qu'il fait trembler ma cage thoracique. Ses bruits remplissent toute la pièce, au point de chasser le lourd silence de ma cellule.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant