La solitude n'est qu'éphémère

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Je me réveille en sursaut. Les chaînes claquent, ma tête percute le poteau et mes muscles s'expriment. Les douleurs qu'ils éveillent, étirées en profondes barres, dans mon dos, me remémorent ma récente condition. Du moins, « récente » à mon sens. Car je n'ai aucune idée du temps auquel je suis ainsi restée suspendue.

La nuque courbaturée, j'appose mon front contre le cylindre. La mollesse et la faiblesse ne m'ont jamais caractérisé avec tant de vigueur. Je me sens "chose", objet. Et comme si cela ne suffisait pas, des étourdissements s'amusent à faire tanguer les images que mes yeux ont déjà grand mal à capturer. Quelle quantité de sang ai-je perdu ? A en juger par l'étendue de la flaque visqueuse qui poisse mes orteils : beaucoup.

Mon ventre se met à gargouiller. S'ensuit une violente crampe d'estomac, qui m'arrache une grimace.

Je meurs de faim.

La consistance pâteuse qui stagne à l'intérieur de ma bouche m'indique que la soif se joint à mes maux. Motivée par l'assouvissement de mes besoins vitaux, je redresse la tête. L'effort tiraille mes plaies en cours de cicatrisation. Bien heureusement, mon murmure plaintif n'atteint pas le mâle positionné à deux mètres de là, une lance à la main. Ses petits yeux s'appliquent à scruter les environs, impassibles. Et bien que mon estomac grogne en continu, la possibilité qu'il puisse me fournir en nourriture est inexistante.

Je laisse à mes bras le soin de soutenir le poids inactif qu'est mon corps. Le peu d'énergie restant se doit d'être conservé.

Mon environnement se solde à une pelleté d'individus qui vont et viennent comme si je n'existais pas, comme si je faisais partie du décor. Pourtant, une blonde aux longues nattes finit par s'arrêter. Sans un mot, sans un geste, son silence communicatif est on ne peut plus décodable : « Alors, tu te croyais invincible, c'est bien cela ? ».

Sa pioche neuve en main, elle finit par pencher la tête puis s'écarter.

Le temps s'égrène. Je livre bataille contre le sommeil, tantôt consciente, tantôt corchetée par l'inconscient. Si je m'endors, si je m'avoue vaincue, ma vulnérabilité atteindra des sommets. Ce qui est hors de question. C'est évidemment sans compter sur mes traîtresses de paupières qui s'abaissent, se relèvent puis se rabaissent de façon intermittente, s'attardant un peu plus chaque fois. Bientôt, ma production de mélatonine ajoute son grain de sel : elle me torpille. Les dents serrées, je pousse un feulement rageur, avant de m'assoupir.

Un vigoureux coup de fouet me réveille. Je lâche un cri éraillé, puisé au fin fond de mon être.

Je hurle une nouvelle fois, une troisième et une quatrième, au rythme des chocs sournois que produit l'instrument occupé à fouiller encore et encore ma chair sanguinolente. Le désespoir me submerge au point de me contraindre à relever les yeux en direction d'un ciel plus clément. Un ciel invisible...Là-Haut, jamais personne n'aurait subi de telles souffrances. Si quelqu'un dérapait gravement, il était exilé en Terre de Paix. S'il commettait une simple faute, il devait se racheter ou présenter des excuses.

Mais pas servir d'affûtoir.

Lors de l'humiliante ascension de mes prunelles embuées, le regard de Krux accroche le mien.

Le Chef du Conseil se tient là, à portée de vue, bras croisés, parmi les spectateurs ambulants, et il me regarde. Ses traits d'un naturel durs lui permettent de m'observer sans trahir ses pensées. Impossible de discriminer ses effluves émotionnels, entremêlées à celles de la foule fascinée. Jubile-t-il comme la majorité ? Approuve-t-il les choix du Prince ? Jusqu'où sa loyauté envers lui s'étire-t-elle ?

Lorsque les bourreaux se retirent pour laisser place aux gardes, qui se positionnent en cercle autour de moi, je me permets de libérer un puissant cri de désespoir. Une grimace marquée, annonce de pleurs imminents, prend le pas sur mon expression faciale.

Cœur de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant