Ellynn Morgan et les Chasseurs Noirs (tome 1)

6 - Avis de recherche (troisième partie)

La visite d'Ellynn à Orléans, bien qu'elle n'eût rien de drôle ou d'excitant, lui avait permis d'apprendre qu'elle et Nanny Mi étaient activement recherchées. Elle était certaine que d'autres affiches avaient été postées dans diverses villes du royaume de Galliae, l'obligeant à redoubler de vigilance. Elle s'en voulait de ne pas avoir été plus prudente à Orléans car n'importe qui avait pu la reconnaître et en avertir les autorités, comme ce couple qu'elle avait bousculé par inadvertance ou la couturière.
Les jours qui suivirent furent difficiles. Il pleuvait sans cesse et la vitesse imposée par la course de Gladius la glaçait jusqu'aux os. Ils longeaient en permanence les routes pour éviter de faire de mauvaises rencontres, ce qui les obligeait à rester dans les bois. Quand ils arrivaient dans d'immenses plaines, les choses se corsaient car Gladius ne savait plus se dissimuler dans la végétation et cela les forçait à faire de gros détours qui les obligeaient parfois à parcourir de nombreux kilomètres supplémentaires.
Au plus le temps passait, au moins Ellynn était sûre de ce qu'elle faisait. Ils continuaient de voyager de la même manière mais elle ne savait pas s'ils étaient poursuivis ou si elle aurait dû laisser les deux forgerons l'accompagner ou si elle aurait dû d'abord prévenir son père avant d'entreprendre un tel voyage. Elle regrettait de ne pas avoir tenté de le contacter car il devait s'en faire pour elles. Pire... Il était peut-être à leur recherche sans même savoir qu'elles s'étaient rendues en ville et que Nanny Mi était décédée. C'était comme une mère pour lui et elle s'en voulait de ne pas avoir su la protéger comme elle l'aurait dû.
Tous ces sentiments plombaient son moral. Elle essayait de faire bonne figure devant Gladius mais il n'était pas dupe. Ses rêves étaient agités et il était arrivé plus d'une fois qu'elle se réveille en pleine nuit en criant le nom de Nanny Mi. Pourtant, au matin, Ellynn faisait comme si de rien n'était. Ils se remettaient en route, traversaient de nouveaux paysages, chassaient et retrouvaient un nouvel endroit pour passer la nuit.
Les jours s'étirèrent en semaines à cause des déviations qu'ils devaient faire. Cela faisait presque trois semaines qu'elle avait quitté Bruxellae et elle désespérait d'arriver un jour à retrouver Amos. Ellynn n'avait jamais voyagé aussi loin et ses compétences en matière d'orientation n'étaient pas toujours parfaites. En plus, comme elle ne pouvait pas se rendre dans les grosses villes, elle devait user de stratagèmes pour obtenir des informations sur la route à emprunter ou sur les dernières nouvelles que les voyageurs avaient entendues en ville.
Ainsi, grâce à des gitans, Ellynn apprit que les routes entre les villes étaient de moins en moins sûres. Les nomades se faisaient souvent agressés et dépouillés de leurs biens, provoquant un sentiment d'insécurité grandissant. Ellynn, elle-même, avait échappé à deux rencontres grâce à l'odorat de Gladius et à son pouvoir de la Terre.
Heureusement, le printemps se fit enfin peu à peu ressentir. Même s'il ne réglait aucun de ses problèmes, le soleil lui permettait d'être de meilleure humeur et les fleurs commençaient à faire leur apparition, lui offrant des paysages magnifiques.
Un soir, alors qu'Ellynn venait de terminer son repas frugal, ils entendirent des gens marcher sur l'herbe, non loin de leur campement. Gladius se releva immédiatement et attendit ses ordres. Cependant, à cause de l'obscurité, elle avait dur à voir qui venait dans leur direction. Elle ramassa ses affaires en hâte, les jeta derrière un buisson et intima Gladius à reculer pour qu'il soit hors de vue. Elle se glissa alors derrière le buisson et empoigna le manche de son épée.
Petit à petit, Ellynn commença à entendre des voix d'hommes. Elle projeta son esprit par la Terre et put avoir une vision plus exacte des personnes auxquelles ils avaient affaire. Ce qu'elle vit la rassura aussitôt. À première vue, ils étaient trois et seul l'un d'entre eux portait un arc à flèches en très mauvais état. Ils n'avaient pas l'air de représenter un quelconque danger mais elle préféra rester à l'abri en attendant qu'ils passent leur chemin. 

- Elles n'auront qu'à préparer le poisson qu'on a pêché ce midi, dit l'un des hommes.
- Elles vont être furieuses. On leur avait promis de la viande, dit une nouvelle voix, moins sûre de vouloir annoncer la nouvelle à sa femme.
- Elles n'ont qu'à aller chasser elles-mêmes si elles ne sont pas contentes, répliqua le premier furibond. J'en ai marre qu'on se fasse sans cesse crier dessus !
- Calme toi, tenta d'apaiser la dernière voix. Après tout, c'est nous qui avons eu l'idée stupide d'aller dans le sud rejoindre Père et Mère. 

« Ah... se dit Ellynn silencieusement. Ce sont des frères manifestement ». Elle devait vraiment rigoler en entendant leur calvaire car il y avait peu de doute quant à savoir qui portait la culotte dans leur ménage et ils étaient apparemment morts de trouille à l'idée d'annoncer à leurs femmes qu'ils rentraient bredouilles de la chasse. 

- Je ne vois pas en quoi cette idée est stupide !
- Tu sais très bien que Marissa déteste Mère. Donc aller vivre dans le même village qu'elle doit l'exaspérer au plus haut point.
- Peut-être... mais Mère ne va pas bien et on ne peut pas laisser Père tout seul. C'est ma femme et elle peut comprendre ça !

Ils passaient à présent juste devant eux, marchant vraiment à leur aise, pas pressés de rejoindre leurs épouses. Ils négociaient pour savoir qui allait devoir annoncer la mauvaise nouvelle. Aucun des trois n'avait l'air emballé et ils n'eurent d'autre choix que de tirer au sort celui qui allait devoir affronter la colère de leurs compagnes. Du peu qu'elle put encore entendre, la personne choisie jura tellement que ses frères éclatèrent de rire.
Par prudence, Ellynn attendit encore un bon moment avant de sortir de sa cachette. Puis, sans attendre, elle enfourcha Gladius et quitta le campement qu'ils avaient choisi pour ce soir-là. Elle savait qu'ils ne représentaient pas un péril pour eux mais elle ne voulait pas jouer avec le feu.

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