Le masque à deux visages

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Les jours, les semaines passaient, et Malia trouvait la vie au château de plus en plus ennuyante. Sa belle-mère refusait de sortir de ses appartements, entraînant l'inquiétude de son époux, qui tentait désespérément de la rassurer à propos de son fils. Elle passait ses journées à lire, écrire des lettres, se morfondre, et ses moments de joies étaient de voir ses enfants, tout spécialement Bertille dont elle aimait à s'occuper. Malia venait aussi la visiter, lui faire la lecture, discuter avec elle; mais bien que la jeune fille aimât sa belle-mère presque comme une mère, Malia se trouvait importunée par une réaction aussi peu courageuse.

De son côté, Malia continuait à vaquer à ses occupations, notamment lire, tirer à l'arc et au pistolet, et écrire à ses deux amies qu'elle n'avait pas revues depuis bientôt sept mois. Aussi, se languissant au château, avait-elle décidé de rendre visite à Hortense et Inès, qui, dès que Malia leur avait proposé de les voir, avaient immédiatement répondu positivement. Elle écrivait souvent à Hortense et Inès. Hortense était promise à un jeune homme qu'elle n'aimait pas, puisque son cœur n'appartenait à personne d'autre qu'au Duc de Nantes, Guirec. Dans ses lettres à Malia, elle aimait à raconter les rencontres et rendez-vous en secret entre elle et lui, les mots doux qu'il lui murmurait à l'oreille, la façon dont il lui prenait la main, dont il lui effleurait la joue, les fleurs qu'il lui offrait... Il semblait à Malia que ce jeune homme était un parfait amant pour Hortense, et elle espérait de tout cœur qu'elle trouve son bonheur avec lui. Inès, elle, avait continué son éducation grâce aux soins d'un tuteur engagé par son père, tuteur auquel elle ne semblait pas tout à fait indifférente... Malia souriait en lisant les lettres d'Inès, qui lui racontait à quel point elle se trouvait en détresse d'aimer ce tuteur qui était bien plus âgé qu'elle, et à cause duquel elle avait beaucoup de mal à se concentrer.

Enfin le jour arriva où Malia put quitter le château paternel pour se rendre à Paris. Un des gardes de son père, en qui ce-dernier avait particulièrement confiance, avait pour mission d'accompagner la jeune fille et de la ramener saine et sauve au château. Philippe, voulant échapper lui aussi à l'atmosphère tendue et trop triste à son goût de Saint-Germain, avait demandé à son père la permission de sortir lui aussi, et il avait été décidé qu'il accompagnerait sa sœur mais avait eu interdiction de la quitter. Les deux enfants avaient promis, passant un bras derrière leurs dos, et croisant leurs doigts. Lorsque le Duc d'Anjou s'était retourné, le frère et la sœur avaient échangé un regard complice, bien décidés à rompre cette fausse promesse. En effet, Malia n'avait pas l'intention d'imposer à son petit frère les visites qu'elle comptait faire. Philippe n'avait que quinze ans, et son idéal de sortie à Paris n'était pas de rencontrer trois jeunes filles de trois ans de plus que lui et passer la journée à les écouter parler!

Malia avait mis une robe de taffetas vert émeraude, un chapeau de la même couleur, et un collier de perles, offert par son père. Le décolleté avait une forme carrée, et était ornée de dentelle, tout comme les manches qui arrivaient à la moitié du bras. Malia était ravissante, comme toujours. Philippe la rejoignit en courant et sauta dans la calèche qui partit rapidement. Dans le carrosse qui les menait à Paris, Philippe trépignait d'impatience, faisant rire Malia. Le jeune garçon n'avait pas revu ses camarades depuis des semaines, et le fait de pouvoir passer la journée en leur compagnie lui procurait une grande joie. Malia avait convenu avec le garde de son père que Philippe serait accompagné par ce même garde, et qu'elle-même n'aurait pas besoin de compagnie, puisqu'elle savait que le père d'Inès, ayant constamment peur pour sa fille, la faisait accompagner par un - voire deux - gardes du corps. Malia n'avait donc rien à craindre, et elle avait rassuré le garde qu'elle ne dirait rien à son père; la jeune fille préférait savoir son frère en sûreté.

Enfin le carrosse s'arrêta devant une immense maison, devant laquelle un serviteur attendait. Lorsque la voiture s'arrêta devant le perron, le serviteur courut pour ouvrir la porte et laisser Malia descendre. Avant de sortir, elle embrassa son frère et lui rappela d'être bien prudent. Philippe leva les yeux au ciel en hochant la tête pour faire plaisir à sa grande sœur. Malia sortit et fut conduite à l'intérieur de l'immense bâtisse, à travers quelques salles, et enfin le domestique entra dans un salon après avoir demandé à Malia d'attendre un instant.

"Mademoiselle d'Anjou," l'entendit-elle annoncer.

Le domestique revint vers elle et la conduisit dans le salon où l'attendait deux jeunes filles qu'elle connaissait bien. Inès était assise, droite, un grand sourire aux lèvres, mais Hortense se leva précipitamment et courut vers Malia afin de l'embrasser. La jeune étrangère lui rendit son étreinte en souriant et se tourna vers Inès qui se leva à son tour et alla embrasser son amie. Les trois jeunes filles s'assirent ensuite et commencèrent à parler, tout en prenant le thé. Au bout d'une heure, Hortense proposa de sortir pour se promener et prendre l'air, suggestion approuvée par les deux autres. Après s'être préparées et avoir prévenu les gardes du corps de leur départ, les trois jeunes filles, encadrées par les gardes, commencèrent une longue promenade, égayée par une conversation joyeuse. Au bout d'un certain temps, alors qu'elles entraient dans le parc du château du Louvres, elles virent venir vers elles deux jeunes hommes que Malia ne reconnut que trop bien. Elle grimaça, et tenta de détourner le chemin que les trois amies empruntaient mais il était trop tard: Hortense avait vu, et il était maintenant impossible de lui faire changer de trajectoire. Malia redoutait ce moment, cette rencontre. Elle se sentait repoussée, de tout son être, et aucune envie ne la prenait d'aller vers ces deux hommes. Elle se surprit à préférer voir le comte plutôt que cet homme. Mais il était bien trop tard : ils les avaient aperçues. Malia lâcha un grognement, prit une inspiration, puis afficha un sourire.

"Messieurs les Ducs de Nantes," remarqua-t-elle, sans joie.

Le cœur du sieur Brieuc bondit en sa poitrine, et un sourire étira ses lèvres: la femme qu'il aimait se trouvait devant lui. Cela faisait presque un an qu'il ne l'avait pas revue, presque un an durant lequel il n'avait pas cessé de lui écrire, de penser à elle, jour et nuit, malgré le silence de la jeune fille. En revoyant les yeux noirs aux reflets bleutés de Malia, ses longs cheveux de jais, son visage si délicat, sa taille svelte, tout son être, le Duc crut périr de bonheur. Il n'avait même pas remarqué le regard ennuyé de la jeune fille. Pour lui, elle avait des étoiles dans les yeux, et son sourire était éclatant.

Les deux jeunes hommes se penchèrent vers les demoiselles et les saluèrent en leur embrassant la main. Malia vit Hortense rougir violemment, ce qui la fit sourire.

"Quelle surprise de vous voir ici," dit Malia en se tournant vers Hortense. Elle soupçonnait son amie d'avoir prévenu son amant de leur arrivée. Et bien sûr, il était évident que le frère de son amant serait là...

Malia fixa le sieur Guirec un instant, et surprit son regard sur Hortense, et il y avait quelque chose dans ses yeux qui mit Malia mal à l'aise. La jeune fille ne se rendit pas compte que la conversation avait été engagée, et elle fronçait les sourcils, les yeux toujours rivés sur Hortense qui ne pouvait s'empêcher de sourire, son regard étincelant de bonheur, ses joues écarlates. La façon dont le Duc fixait Hortense, sa façon d'être, sa façon de toucher le bras de la jeune fille, quelque chose n'allait pas... Malia réfléchissait. La réponse était évidente, pourtant. Elle était là, devant ses yeux. Et une certaine peur, non pour elle mais pour son amie, s'empara de son cœur. Elle devait la mettre en garde.

Ce jeune homme n'avait aucune intention de faire le bonheur d'Hortense. Aucune.

Princesse et AssassinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant