Louis-Joseph

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"Mademoiselle," dit Brieuc à Malia, l'interrompant dans ses pensées. "C'est un réel plaisir de vous revoir. Avez-vous reçu mes lettres?" demanda-t-il pressamment.

Malia se retint de lever les yeux au ciel, contint son agacement et tourna son regard vers Brieuc en souriant.

"Vous n'avez sûrement pas entendu la nouvelle," répondit-elle, "mais la maison Saint-Pierre a pris feu, et nous avons du retourner chez nous. Cela fait bientôt un an."

Brieuc sentit son cœur s'accélérer : ainsi donc, la jeune fille ne l'avait jamais ignoré, elle avait seulement été dans l'impossibilité de lui répondre; peut-être même que si ce feu n'avait pas eu lieu, elle lui aurait répondu. Brieuc était heureux, et rempli d'espoir. Il marchait aux côtés de Malia qui discutait avec Inès, derrière Guirec au bras duquel était accrochée Hortense, les joues rouges, le sourire aux lèvres. Malia paraissait absente cependant, et ses yeux noirs restaient rivés sur Guirec qu'elle surveillait. Brieuc, quant à lui, continuait de parler, espérant en apprendre plus sur la jeune femme qu'il aimait. Malia n'avait qu'un désir, s'enfuir. Retrouver Philippe et s'en aller, loin de là, retourner à Saint-Germain, peu importe l'atmosphère désagréable qui y régnait. Baudouin lui manquait cruellement, et s'il avait été là, elle aurait pu jouer avec Brieuc, et le faire fuir, sûrement. Mais la réalité était là, presque insupportable : elle avait beau faire, rien ne semblait rebuter Brieuc qui revenait sans arrêt à la charge, malgré la froideur de Malia.

Soudain, Malia sentit son cœur s'emballer, et ses joues rougir, et malgré elle, elle s'arrêta net. Devant elle se tenait un jeune homme, aux yeux couleur du ciel, non le bleu de France, mais le bleu de son pays; ses traits étaient virils, son nez droit, ses sourcils épais et ses cheveux coupés au-dessus des épaules, étaient châtains et ondulés. Il avait l'allure d'un soldat et d'un empereur à la fois; de haute taille, la main à l'épée, il était habillé tout de gris et de rouge. Il marchait en compagnie d'un homme entre deux âges, portant le même uniforme que lui. Lorsque son regard se posa sur Malia, la jeune fille crut qu'elle allait défaillir. Il sembla s'écouler une éternité, pendant laquelle ni l'un ni l'autre ne pouvait détacher leur regard de l'autre. Lorsqu'il sourit, c'en fut trop pour le cœur de la jeune fille qui sauta un battement. Inès suivit le regard de Malia, et un sourire apparut sur ses lèvres. Le jeune homme marcha dans leur direction, s'inclina et se présenta.

"Mademoiselle," dit-il en saluant la jeune fille. Et sa voix était grave, et chantante. "Louis-Joseph, duc de Vendée. A votre service.

"Ma... Malia, fille du... duc d'Anjou," bégaya la jeune fille, en se maudissant intérieurement de son incertitude et de sa soudaine incapacité à parler de façon normale.

Louis-Joseph sourit avec une grande douceur.

"Enchanté, Madame," dit-il. "Me feriez-vous l'honneur de votre compagnie le temps d'un instant?" demanda-t-il en offrant son bras à Malia qui hocha la tête, incapable de sortir une syllabe cohérente. Elle se saisit du bras de Louis-Joseph et tous les deux marchèrent d'abord silencieusement.

Inès les laissa avancer, et retint Brieuc qui s'apprêtait à marcher à leurs côtés.

"Laissez-les apprendre à se connaître," dit-elle avec un sourire. "Je sens déjà que ces deux-là sont faits l'un pour l'autre."

Brieuc sentit son cœur se briser en mille morceaux, et le monde s'écrouler autour de lui. Inès prit le bras du jeune homme abattu, et l'obligea à parler, afin de lui changer les idées. Devant eux, Louis-Joseph et Malia parlaient, timidement, mais peu à peu, la jeune fille se sentit à l'aise, et la discussion d'abord peu importante, devint intéressante, et pour rien au monde les deux jeunes gens auraient voulu que cela se terminent. Brieuc voyait Malia rire et parler comme jamais elle ne lui avait parlé ; ses beaux yeux noirs étaient devenus doux, et jamais elle ne l'avait regardé comme elle regardait Louis-Joseph ; ses joues était teintes d'une couleur rosée, percevable malgré la couleur foncée de sa peau ; et sa voix était calme et emprunte d'une joie profonde. Le cœur de Brieuc chavirait à chaque regard qu'il lançait en direction du nouveau couple.

Malia n'avait pas ressenti une aussi grande joie depuis le départ de son frère. Ce jeune homme, Louis-Joseph, était aussi tellement différent des autres galants qui avaient tenté de la courtiser, et beaucoup plus agréable que Brieuc qu'elle ne pouvait supporter. Elle n'avait pas regardé ce-dernier depuis l'arrivée de Louis-Joseph, mais elle sentait le regard pesant et triste de Brieuc sur elle et le nouvel homme. Elle tenta de ressentir de la pitié pour lui, mais cela s'avéra être impossible. Aux côtés de Louis-Joseph, elle ne ressentait que de la joie, et se sentait en sécurité, comme si elle ne pouvait plus ressentir de peine. Tous ses soucis semblaient s'être envolés, et elle aurait donné cher pour que ce moment reste à jamais. Mais le temps passait, cruel, et l'heure de partir sonna pour elle, et d'abord pour Louis-Joseph. Ce-dernier s'arrêta et se tourna vers Malia afin de lui dire adieu; il se saisit de la main de la jeune fille, s'inclina pour l'embrasser, et murmura quelques mots.

"Ces quelques instants passés avec vous furent un pur délice, mademoiselle. J'espère vous revoir très vite," dit Louis-Joseph doucement en embrassant la main de la jeune fille qui sourit et rougit légèrement.

Malia ne put prononcer une seule parole, mais ses yeux ne quittèrent le jeune homme que lorsqu'il disparut à un tournant. Elle se tourna vers ses amis et elle se mit à rire, se rendant compte que son état devait leur paraître bien étrange. Hortense était toujours au bras de Guirec, Brieuc fixait le sol, et Inès fut la première à marcher vers Malia; elle se saisit de son bras et les deux jeunes filles continuèrent leur promenade.

"Ce jeune homme a l'air merveilleux, si l'on en croit vos yeux et votre sourire," taquina Inès.

Malia ne répondit rien, et fixa le sol, le sourire toujours plus large sur ses lèvres. Elle se retourna pour voir Hortense, toujours accrochée à son bien-aimé, lequel avait toujours cette étincelle de malice dans les yeux. Malia fronça les sourcils, et son regard passa au jeune homme à côté des deux amoureux. Son visage était contracté, ses dents serrée, et ses yeux était tristes. La jeune fille voulait éprouver de la pitié pour lui, mais elle se rendit compte que cela lui était impossible; chassant ses pensées en secouant la tête, elle se tourna vers Inès et toutes deux continuèrent de parler jusqu'à ce qu'il fut temps pour Malia de retrouver son frère et partir.

Retrouver l'atmosphère triste et silencieuse du château de Saint-Germain se révéla être plus facile que ce que Malia pensait. Sa belle-mère était toujours dans ses appartements, laissant Bertille seule avec sa gouvernante, ce qui révoltait Malia qui avait décidé de passer le plus de temps possible avec sa petite sœur. Ce qu'Hélène ne savait pas, c'est que Malia ne jouait pas avec l'enfant mais lui apprenait à se défendre, à manier un petit poignard, à asséner des coups. Bertille, du haut de ses six ans, trouvait ce passe-temps bien plus intéressant que les leçons interminables de sa gouvernante.

Le soir, lors du souper, Malia parla à son père de ce jeune homme qu'elle avait rencontré, et lui soumit son désir de le revoir, ce à quoi le Duc répondit en disant qu'il était bien sûr le bienvenue ici, mais que pour certaines raisons que le Duc jugea bon de ne pas exposer, Malia ne pouvait en revanche le revoir à Paris. La jeune fille eut l'intelligence de ne point contredire son père, et acquiésa en souriant. Le reste de la soirée s'écoula tranquillement, et de façon agréable.

Alors que Malia fermait la porte de sa chambre, son regard accrocha une enveloppe sur sa coiffeuse. Elle se précipita pour l'ouvrir, et y reconnut l'écriture de son frère chéri. Ce-dernier lui expliquait que la campagne que menait le roi était sur le point de se terminer, et qu'il espérait être de retour avant la fin du mois. Malia sentit son cœur bondir en sa poitrine: son frère, le marquis et le comte allaient revenir dans une semaine...

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