Pardon

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Malia regardait dans le vide. Ses yeux étaient secs. Elle se tenait debout, droite, et ne montrait aucune émotion. Elle se sentait vidée. Elle était seule. Seule devant la tombe de celui qu'elle avait aimé et qu'elle aimait encore. Le vent était violent, mais elle ne bougeait pas. Sans cesse, les derniers mots que lui avait dit Louis-Joseph résonnaient dans sa mémoire, et plus le temps passait, plus ses mots devenaient forts et violents. La nuit, la scène de la mort de son fiancé, provoquait des cauchemars, dont elle se réveillait toujours en sursaut, incapable de respirer et de se calmer pendant un moment qu'elle trouvait trop long. Malia secoua la tête, et leva les yeux vers la forêt. Elle ne savait plus ce qu'elle attendait, elle ne savait plus ce qu'elle voulait, elle se sentait perdue et réduite à néant. Ce qu'elle devait faire, c'était son devoir, mais même cela, elle le faisait sans réfléchir, avec automatisme. Le Comte, elle lui avait très peu adressé la parole, et très peu vu. En effet, en dehors des missions à exécuter, ils ne se voyaient pas. Malia passait le plus clair de son temps sur la tombe de son fiancé, parfois des heures durant, seule, peu importait le temps qu'il faisait. En société, au château, avec sa famille, ses amis, elle n'était plus heureuse, elle n'affichait plus ce sourire qui charmait tout le monde ; elle avait perdu sa joie de vivre. Elle se sentait étouffée, comme si elle se noyait, comme si elle était sous l'eau d'un océan qui s'étendait à l'infini et dont elle ne voyait pas la surface. Elle avait cette impression de couler, toujours plus profondément, et qu'elle ne pouvait se rattraper à rien pour ne pas se laisser emporter plus loin. Elle ne savait plus. Mais quoi donc? Rien. Peu importait la question, elle ne savait plus. Elle si sûre d'elle, si forte, joyeuse... tout cela était parti. Loin. Si loin. Mais malgré tout cela, Malia s'était toujours empêchée de pleurer. Elle avait pleuré au moment de la mort de son amour, mais plus jamais après. Et cela faisait bientôt deux mois qu'il était mort.

« Malia... » dit une voix doucement derrière elle.

La jeune fille se retourna. Son père.

« Cela fait plusieurs heures que vous vous êtes absentée, je commençais à m'inquiéter. »

Malia baissa la tête.

« J'arrive, » dit-elle simplement.

Elle se tourna une dernière fois vers la tombe de Louis-Joseph, et suivit son père jusqu'au château. Ils ne dirent rien, le père respectait le silence de sa fille. Personne ne savait comment et pourquoi Louis-Joseph était mort, et personne n'osait poser la question, parce que personne n'osait en parler à Malia qui malgré l'impassibilité qu'elle laisser paraître, semblait être toujours en deuil.

De son côté, le Comte évitait Malia. Il se sentait coupable, terriblement coupable de n'avoir rien pu faire pour sauver Louis-Joseph. Jamais n'avait il ressenti autre chose que de la culpabilité, de la colère, et une profonde tristesse quant à la mort de l'homme que Malia aimait. Bien qu'il fût son rival, la tournure qu'avaient pris ces derniers événements ne lui plaisait pas, et ce n'était pas ainsi qu'il imaginait les choses. Il aurait tant voulu pouvoir sauver Louis-Joseph, rendre Malia heureuse, même si cela signifiait pour lui qu'il ne pourrait jamais finir sa vie avec Malia qu'il aimait. Et maintenant plus que jamais, cela lui semblait impossible. La jeune fille devait sûrement lui en vouloir et le détester à présent, et il ne pouvait le supporter. Cela faisait deux mois que la distance qui s'était créée entre les deux jeunes gens le faisait terriblement souffrir. Et il commençait à se dire qu'il valait peut-être mieux qu'il parte, loin, peut-être dans un autre pays... Qu'il prenne de la distance, mais surtout, qu'il puisse se défaire des sentiments qu'il éprouvait pour Malia. Il ne savait pas ce que Malia ressentait pour lui, il ne savait pas que chaque nuit, la jeune fille n'avait qu'un désir, courir le voir, chercher sa protection, lui dire qu'elle ne lui en voulait pas, qu'elle l'aimait, mais que la mort de son fiancé l'ayant détruite, elle était incapable de faire et dire tout cela. Le Comte respectait la distance qu'elle avait voulu mettre. Il respectait qu'elle soit toujours en deuil, qu'elle ne voulût point partager sa douleur. Il s'était dit que si la jeune fille n'allait pas mieux d'ici deux mois, il partirait. C'était un projet dont il n'avait fait part à personne.

Or, les deux mois passèrent, et Malia semblait toujours sombrer, toujours plus silencieuse, toujours plus triste. La décision du Comte avait été prise. Il partait dans deux jours. Et la profonde tristesse qu'il ressentait à cette idée, lui brisait le cœur.

Un jour, alors qu'il se promenait dans les jardins, seul, à la tombée de la nuit, regardant la sombre et noire forêt, les jardins et le château illuminés, il entendit des pas derrière lui, le faisant se retourner vivement. Son cœur s'arrêta un instant, et il n'osa ni sourire, ni parler. Elle le fixa et s'approcha de lui doucement.

« Comte, » dit-elle. Et sa voix était douce et triste, délicate et un léger sourire s'était dessiné sur ses lèvres.

Le jeune homme se tourna tout à fait vers elle, et attendit.

« Puis-je vous parler? » demanda-t-elle timidement. Cette soudaine vulnérabilité lui faisait mal, et un désir de la protéger s'était emparé de lui.

« Bien sûr, » répondit-il.

Ils marchèrent quelques instants en silence, et le Comte attendit qu'elle parlât.

« Ah, Comte, » soupira-t-elle. « Je tenait à vous demander pardon d'avoir été si distante avec vous. » Le jeune homme fut surpris, mais il la laissa continuer. « Ces quatre derniers mois ont été durs, » avoua-t-elle. « J'ai eu cette impression de sombrer dans un océan, si profond et si noir, et je ne sais plus comment retrouver la surface... J'ai créé cette distance entre vous et moi, en pensant que cela m'aiderait à reprendre mes esprits. Mais cela n'a pas été le cas. » Sa voix était infiniment triste et douce à la fois, et les aveux qu'elle faisait au Comte, réchauffait le cœur de ce dernier. Elle avait enfin décidé de parler. Elle hésita un instant puis se tourna vers le jeune homme et se saisit de sa main. Le Comte leva les yeux vers elle, surpris, et elle plongea ses yeux dans ceux du jeune homme. Une supplication silencieuse. « Ne partez pas..., » murmura-t-elle.

« Comment... »

« Philippe, » interrompit la jeune fille. « Il m'a dit que vous aviez décidé de partir loin. Mais ne partez pas. J'ai besoin de vous, de votre soutien, de votre compagnie. »

Le Comte sentit une vague de soulagement envahir son cœur affligé, et il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire, mais un sourire emprunt de nostalgie.

« J'ai manqué à ma promesse, » dit-il en baissant la tête. « J'ai promis de vous protéger, et lorsque vous aviez le plus besoin de cette protection, je n'ai pas su vous la donner. »

« Je n'avais pas besoin de protection, » répliqua-t-elle doucement. « Le roi m'a donné une leçon, la plus terrible qui soit, mais si vous l'aviez empêché, les conséquences auraient été plus terribles. J'ai mis du temps à le voir et à l'accepter, mais j'y suis parvenue, et je ne regrette pas. Les choses ont été faites dans l'ordre. Maintenant plus que jamais, j'ai besoin de votre soutien, de votre compagnie, de votre aide. »

La Comte regardait la jeune fille, et l'amour qu'il ressentait pour elle à cet instant était plus fort que tout. Il prit sa main, et la serra fort. Les yeux de Malia se remplirent de larmes, et ils suppliaient le jeune homme. Ce dernier, soudain, avec la plus grande délicatesse qui soit, la prit dans ses bras, et la serra fort. Alors Malia, pour la première fois depuis quatre mois, laissa libre court à ses larmes.

« Jamais, » dit le Comte avec force, « jamais je ne vous abandonnerai. »

« Merci, » souffla Malia.

Ils restèrent ainsi pendant un long moment. Ils ne savaient pas que, caché dans un coin, un jeune homme les observait, les yeux remplis d'un désir de vengeance et de haine. Et personne ne se doutait d'une chose qui allait tout changer : cet homme se vengerait, cet homme n'aurait jamais de répits avant d'avoir crié vengeance. Cet homme savait tout. Baudouin savait tout.

Princesse et AssassinWhere stories live. Discover now