20 - Embrasement

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Je reste étendue, sonnée par la douleur et la surprise.
Le Warg me fixe un long moment. Je me demande s'il ne va pas goûter un morceau de moi quand il vient se blottir à mes côtés.
Je sens son odeur de fauve, de sang et de chien mouillé mais surtout la chaleur qui émane de lui. Je ne sais pas ce qu'il fiche ici mais il vient de me sauver la vie.
Comme j'ai sauvé la sienne.
Avec précaution, il se couche à mes côtés, me recouvrant presque. Je sens alors son cœur qui bat tout près du mien. Ils ont le même rythme.
Une vie pour une vie...
Durant toute mon existence j'ai fait des choix. J'ai prit des directions bien souvent sans savoir où ça allait me mener. Bon ou mauvais, ce sont mes choix et leurs conséquences qui m'ont conduit ici.
Je souris. C'est bête mais cette pensée me fait sourire.
J'ai sauvée la vie de ce Warg sans même penser aux conséquences de mon acte, à ses répercussions et au fait qu'en lui donnant une place dans ma vie, il pouvait très bien la sauver.
Doucement, luttant contre la douleur, je passe mes bras de part de d'autres du Warg et je le serre contre moi. Il vit, je vis, c'est aussi simple que ça...



Mon corps se détend et mon esprit s'apaise.
Ai-je fait les bons choix ? Et comment on peut le savoir ?
Ma place est-elle vraiment ici ?
Je revois la vision d'Elrond. Moi si sombre et malfaisante, les Ténèbres, la haine, la destruction, tout cela aurait été si simples...
Vivre est difficile, voir douloureux, mais il y a tellement de bons côtés. Je repense à Anar, à notre enfance cachée mais heureuse, à Équinoxe, à Elrohir, à tous ces êtres que j'ai croisée et qui font ce que je suis maintenant.
C'est comme si chacune de ces rencontres avaient comblées une faille en moi afin de me rendre plus forte. Ils m'ont construite et ont fait de moi ce que je suis.
La chaleur du Warg se diffuse sur mon corps et se mêle à la mienne. Lentement je sens cette douce chaleur se propager en moi. Mon feu vit dans mon cœur, se répand dans tous mon être mais cette quiétude est différente.
Je dois me lever, continuer... Je dois vivre.
Je rouvre les yeux chassant d'un battement de cils, la pluie, le sang et les larmes.
Je me sens mieux, plus forte. Je remue et le Warg se décale, il comprend mes intentions.
Je roule sur le côté, serrant les dents, puis j'attends que la douleur refoule pour m'appuyer contre lui. J'inspire un grand coup puis je me hisse sur mes jambes.
Le Warg accompagne mon mouvement puis me soutient. Il est fort, plus que je ne le pensais.

– Merci, soufflé-je en laissant ma main glisser de son épaule vers sa tête.

Il se frotte doucement contre moi. A cet instant, il est mon pilier. Je l'enlace, chaque mouvement est à peine moins douloureux que le précédent mais je lutte.

– Je n'aurais jamais assez d'une vie pour te remercier... mais on a encore une guerre à gagner.

Le Warg me communique sa peur, je réponds par de l'espoir. L'espoir est encore là et tant que l'on garde espoir, on garde notre force.
Le Warg s'apaise. Là où j'irais, il ira.
Je souris, appuie ma tête contre la sienne puis je me redresse.
La Lune Ardente n'est pas encore à terre.
Avec une extrême lenteur, je vérifie ma lame dans mon dos puis je récupère ma dague. J'hésite puis je pousse du pied le poignard de l'Orque dans le vide. Le son de sa chute se répercute un instant puis le silence retombe.
Je recule jusqu'au chemin de ronde contenu sous l'aplomb rocheux. Je reste un moment là à contempler l'affleurement rocheux sur lequel je me suis écrasée.
J'ai vraiment de la chance de ne m'être rien cassé...
Je m'essuie rapidement le visage avant d'interroger le Warg sur la direction à prendre. Sans une hésitation il me pointe notre gauche, le chemin jusqu'au bastion.
Lentement, pas à pas, je retourne au combat.


***

Le Warg écoute.
Il entend les bruits du combat. Il a peur, il voudrait fuir mais il ne peut pas. Il aimerait être à ses côtés, aux côtés de celle qui brille dans les Ténèbres.
Il s'agite, parcourt la cour, mais en vain, il ne peut pas sortir.
Il s'arrête, observe, écoute puis reprend son trot. Soudain il sent que quelque chose ne va pas. Il le sent dans tout son être, comme une alarme, un instinct profond : elle est en mauvaise posture.
Elle a besoin d'aide, besoin de lui.
Le Warg prend son élan et percute la porte de toute sa masse, elle craque mais bien bon. Malgré la douleur lancinante dans son épaule, il recommence mais sans résultat. Il tente alors de grimper pour franchir les hauts murs, il glisse, chute, roule à terre mais se relève. Il a mal mais recommence encore et encore.
Il est déterminé, même s'il doit briser son corps, il viendra à elle.
La douleur, il connaît, elle ne lui fait pas peur, elle est comme une vieille amie, mais perdre sa lumière est au dessus de ses forces.
Il s'agite de plus belle, tournant en rond coincé dans cette cours. De rage et de frustration, il aboi puis hurle à la mort.
Il est coincé.
Alors qu'il pousse un énième hurlement, la porte s'ouvre brusquement.
Il se fige, le corps tendu et l'esprit prêt. Il dévisage l'Homme en armure qui se tient dans l'encadrement. Il sent le sang, l'Homme est blessé, vulnérable, mais quelque chose dans son regard le retient de lui bondir dessus.
Cet Homme est fort, un Homme de légende.

– Mon Roi refermez cette porte, le supplie un autre Homme resté en arrière. Ne faites pas face à cette bête des Ténèbres, ce n'est que folie...

L'Homme en avant, le Roi, lui fait signe de se taire. Le Warg les observe, cherchant à comprendre et un moyen de passer malgré leur présence qui l'effraye.

– Elle est tombée, souffle le premier Homme. On ne peut rien pour elle, mais toi si.

Le Roi se pousse alors du passage. Le Warg frémit, prêt à s'élancer.

– Va s'y, reprend l'Homme. Va la sauver, comme elle t'a sauvé.

Le Warg bondit.
En une foulée, il est déjà à la porte, une seconde il l'a franchit. La peur lui tord les entrailles alors qu'il passe à côté des Hommes mais sa détermination est plus forte, il sait ce qu'il a à faire.
L'orage se déchaîne tandis qu'il court aussi vite qu'il le peut. Il évite les corps des morts et les combats des vivants. L'air empeste l'Orque et la mort mais il occulte ces horreurs et se concentre sur ce qu'il ressent en lui, au plus profond de son être.
Il court aussi vite que possible, zigzaguant entre les Hommes qui l'effraient et les monstres qui le terrifient.
Sans savoir comment, il connaît le chemin. Il arrive devant un attroupement d'Hommes qui remontent en toute hâte un étroit escalier. Dés qu'ils le voient, ils se mettent en garde, obligeant le Warg à s'arrêter. Il reconnaît alors un des Hommes, il était avec elle devant les portes.

Par là, souffle l'Homme avec douceur en indiquant une direction. Il faut faire vite.

Les paroles résonnent dans l'esprit du Warg, ce n'est pas un langage des Hommes, c'est celui de la nature. Le Warg tourne la tête tandis que l'Homme dit aux autres de se pousser. A nouveau le Warg s'élance, l'urgence de la situation lui faisant oublier sa peur viscérale.
Il accélère, prend autant d'élan que possible puis saute dans le vide.
Il n'a plus peur, il sait où il doit aller.
Il atterrit sans encombre sur un chemin étroit où les Hommes aiment patrouiller. Sans une hésitation, il reprend sa course folle. Il la sent de plus en plus proche.
Il dérape au détour d'un virage et la voit enfin, mais il se fige dans une glissade. Elle est au prise avec un Orque, bête cruelle et sans merci qui le terrifie. La peur l'enserre lui rappelant ses souffrances passées.
Il a peur des Orques, de leurs lances et de leurs fouets. Son corps tout entier est marqué de leur cruauté et de leur folie. Son esprit est paralysé par des années de sévices.
Lui, pauvre créature, qu'est-il face aux monstres Orques ?
Il la voit lutter mais il sait le combat perdu d'avance, les monstres sont toujours les plus forts.
Lui aussi a tenté de lutter, de se révolter, mais ils l'ont broyés, lacérés son corps et fait plier son esprit jusqu'à ce qu'il devienne une bête docile.
Son envie lui cri d'intervenir, de la sauver, mais son instinct lui hurle qu'il ne peut rien faire. Il craint trop les Orques et la douleur qui lui ont enseigné.
Son corps se balance, trépignements nerveux. Soudain il la revoit quand elle s'est approché de lui alors qu'il était coincé. Elle avait peur aussi mais elle a approché quand même, elle l'a délivré de son harnachement mais surtout de sa prison de souffrance. Elle n'a pas détourné le regard et lui donné une liberté qu'il pensait inatteignable.
Le temps se suspend.
Le Warg inspire, gonfle ses poumons du vent de liberté qu'elle a soufflé sur lui puis il s'élance. Il puise dans sa peur et sa haine pour devenir ce que les Orques ont fait de lui : une immonde bête tueuse.

Tome 2 - La Lune Ardente de FangornOù les histoires vivent. Découvrez maintenant