35 - Souvenirs

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Ce jour là il pleuvait.
L'atmosphère était surchargée d'humidité bien que la pluie peinait à atteindre le sol. L'eau tombait sur l'épais manteau de feuillages, gouttait sur les branches et ruisselait sur le long des troncs.
J'aimais cette ambiance oppressante, faite de brouillard et de courant d'air pesant. Un monde teintait de gris et aux bruis étouffés.
Les sabots d'Équinoxe émettaient un son mat sur le sol mou et gorgé d'eau tandis que mes longs cheveux retenus en deux nattes se collaient à mon dos. J'aurais dut mettre une capuche mais il était déjà trop tard pour faire marche arrière.
Le plan avait déjà commencé. La première phase, la plus difficile pour moi, avait été de repousser Anar, de le blesser suffisamment pour qu'il se tienne loin de moi. C'était pour son bien, je ne cessais de me le répéter, mais ça me faisait mal. Une douleur sourde et persistante, juste à côté de mon cœur.
Je chevauchais en silence, me concentrant pour ne pas faire demi tour, pour ne pas aller consoler mon frère.
Lorsque plus de la moitié de la forêt fut franchie, je n'avais pu m'empêcher de frissonner.
On approchait de la seconde phase : l'infiltration.
J'avais alors jetée un regard par dessus mon épaule. J'avais espérée y voir Radagast me faire signe de revenir, de tout annuler, mais non, j'étais seule.
Frissonnant à nouveau, je m'étais tournée vers la fin de la forêt : les terres du Rohan. C'était alors un pays inconnu mais qui me terrifiait. Trop d'Hommes, trop de choses auxquelles faire face, trop de risques de tuer...

– Je vais continuer à pied, avais-je soufflé.

Équinoxe avait attendu que je descende de son dos pour s'agiter, ça ne lui convenait pas. Doucement, j'avais posée mes mains sur son museau pour l'apaiser mais sans réels résultats.

– On en a déjà discuté, je ne veux pas que tu viens avec moi puis j'ai besoin de toi ici. Qui d'autre pourra m'offrir la diversion dont je vais avoir besoin ?

Équinoxe n'avait eu aucune réponse à m'offrir mais il n'était toujours pas satisfait. Je l'avais alors enlacé, lui mon seul ami, le seul à se soucier de moi.

– Tout va bien se passer...

Difficile de convaincre quand on n'est soi-même pas convaincu. Équinoxe m'avait asséné plusieurs coups de museau peu délicats, à croire qu'il voulait m'assommer, puis il s'était résigné.

– Reste sous le couvert des arbres. Ne viens que si je t'appelle.

A contre cœur, Équinoxe avait acquiescé d'un coup de sabot. Après une dernière étreinte, j'avais embrassée la forêt d'un regard circulaire. J'étais seule.
Toute seule.
Je n'avais pas eu à marcher longtemps avant de ressentir l'aura de Saroumane. Elle imprégnait les lieux telle un parfum insistant.
Il m'avait regardé m'approcher en silence. Son regard était impassible mais je le sentais tendu, pas en confiance.

– Je doutais de votre venue, fit-il tout bas.

– Pourquoi cela ? Je n'ai qu'une parole.

Saroumane m'avait regardé de haut en bas comme si je n'étais qu'un objet insolite mais sans charme.

– Allons y.

La voix doucereuse et le ton neutre ne m'inspiraient pas confiance mais je n'avais pas le choix. Je ne l'avais plus depuis longtemps.
C'est en silence, sans cérémonie, que j'étais sortie de ma forêt, de mon refuge. On avait marché sans échanger un mot, ce qui n'était pas une mauvaise chose, j'étais au bord des larmes. J'avais peur. Peur de ce que j'étais en train de faire, peur des conséquences sur moi, sur les miens. Peur de ce qui allait m'arriver.


Mon arrivée en Isengard se fit dans le même silence pesant, dans une discrétion mystique et anormale. J'étais le bijou ébréché que personne ne devait voir.
Saroumane se hâta de me faire rentrer dans sa tour, on aurait dit qu'il avait tout aussi peur que moi.
L'intérieur était sombre, empreint de ténèbres mal sains. Tout n'était que bizarrerie et étrangeté.
Saroumane m'avait conduit à ma chambre, une petite pièce austère. Un lit, une table minuscule et une chaise, le tout éclairé par une simple fenêtre. Rien d'autre.
Je n'eus pas le temps de m'apitoyer davantage que déjà il me faisait faire le tour des lieux.
Au début, je dois l'avouer, j'eus des doutes. Saroumane était certes un beau parleur mais rien de ce que je voyais ne me faisait prendre conscience de sa dangerosité, puis je les vis.
Les forges, les nurseries, les expérimentations...
Sous l'apparence magistrale et pompeuse d'Orthanc se cachait une vermine grouillant, se multipliant de jour en jour et attendant son heure.
Des Orques par centaine, une véritable armée qui fallait équiper et mener au combat, c'était là mon rôle. Je compris alors que Radagast avait raison. Sous ses airs de sage, de grand magicien soucieux des autres, se cachait un mégalomane, un fou.
Saroumane était fou et j'étais l'une des seuls à le voir.
Alors qu'il me présentait ses constructions, sa forge, son projet de barrage avec autant d'amour dans la voix qu'un parent parlant de son enfant, je le vis comme il était.
Un danger.
Pour moi, pour les autres, pour Anar.
Je fus parfaite. Contrôlant mon dégoût pour ne lui montrer que ce qu'il avait envie de voir, lui dire que ce qu'il avait envie d'entendre. J'étais ce qu'il attendait de moi, même si pour cela je devais m'enfoncer dans ses ténèbres.

Tome 2 - La Lune Ardente de FangornWhere stories live. Discover now