HARMONIA - Tome 1 : HERITAGE (Disponible en ebook et abonnement KINDLE)

Chapitre 4

— Mélanie, tu m'écoutes ? 

Hein... ?

Pierre me fixe, tout en guettant mes réactions.

— Est-ce que tu comprends ce que ça signifie ?

J'ouvre la bouche. La referme. Les mots s'étranglent au fond de ma gorge. Finalement, j'acquiesce. Lentement.

— Je sais que cette lettre a deux ans d'avance, mais nous n'avons pas d'autre choix que d'obéir, tu le sais, n'est-ce pas ? Mélanie, regarde-moi !

Son ordre claque dans ma tête comme un coup de fouet. Je déglutis et m'exécute.

— Tu as appris tout ce qu'il faut savoir pour bien t'occuper d'un époux, deux ans de plus ne changeront pas grand-chose. Si cela peut te rassurer, tu ne manqueras de rien, je m'en suis assuré. Ton union aura lieu demain en fin de matinée. Ta valise est déjà prête.

Le souffle me manque. 

— Je ne veux plus te voir te priver pour nous. Tu maigris à vue d'œil. Je ne peux pas rester sans rien faire alors que tu mets ta vie en jeu.

Emma gesticule dans les bras de Perronne et je prends soudain conscience de tout ce que Pierre veut également taire.

Je ne suis plus sa priorité.

Un frisson glacial me remonte l'échine.

Il se lève pour contourner la table. Ses doigts rugueux me soulèvent le menton, tandis qu'un sourire satisfait filtre sur ses lèvres.

— Ce garçon a de la chance de t'avoir. Rends-moi fier de toi.

Je plante mes ongles dans mes cuisses pour arrêter le tremblement de mes mains. C'est pas possible, c'est une blague... Je ne peux pas y croire. Pierre me met à la porte ! Après tout ce que nous avons vécu ensemble, après tout ce que nous avons dû endurer, il décrète maintenant que je suis de trop dans son foyer !

Il prend l'enveloppe et la pose sur l'étagère au-dessus de l'évier. À l'intérieur, il y a le nom de mon époux, la date et le lieu de notre union, ainsi que la liste complète des affaires que je dois emmener avec moi. Sans oublier le dessin de ma nouvelle coupe de cheveux.

J'ai envie de hurler. Je lutte de toutes mes forces pour ne pas me lever et balancer la lettre par terre. Je veux la piétiner, la déchirer et jeter chaque morceau dans le poêle pour qu'elle disparaisse à tout jamais. Pourtant, je reste immobile sur ma chaise. Je serre et desserre les poings sous la table.

Fuir est impossible.

Rester cachée est impossible.

Désobéir est impossible !

Que je le veuille ou non, dès demain, je quitte l'école. Dès demain, je vais devoir obéir aveuglément à un garçon que je ne connais pas. Je n'aurai le droit de parler que lorsqu'il m'en donnera l'autorisation. Je me lèverai chaque matin avec le seul objectif que son logement soit rangé, que son repas soit fait et chaud quand il rentrera, et qu'il n'ait rien à me reprocher de crainte d'être dénoncée au gouvernement et reniée. Si ça devait arriver, je serais expédiée dans le Troisième Quartier, là où vivent les exclus et les endettés. Les laissés-pour-compte. Je dormirais probablement à même le trottoir avec la peur au ventre, en espérant me réveiller le lendemain matin en un seul morceau. Quand je vois la relation que mon frère entretient avec Perronne, j'ai juste la pulsion de prendre mes jambes à mon cou.

Ce n'est pas juste, j'étais là avant elle !  Et avant Emma. Emma... Je ne veux pas qu'elle meurt de faim à cause de moi. Elle n'a rien demandé à personne, elle est innocente.